Parfum fleuri ou épicé ?[PV Juna Kavanez]

- Bonjour, je suis Juna Kavanez. Un ami m'a parlé de toi et je vois qu'il avait raison. Tu es aveugle, n'est-ce pas ? N'est-ce pas trop dur d'être enfermée ici, avec seulement les oreilles qui te permettent de suivre ce qui se passe ?

Je suis alors surprise en entendant la voix de la femme qui est toujours postée devant ma cage. Une voix douce, qui se veut rassurante mais avec une pointe énergique. Un ami ? Sûrement un passant mais pourquoi ne m'a t-il pas adresser la parole lui aussi ? Je laisse planer un long silence, ma surprise s'envolant certainement de mon visage. Ma tête est maintenant bien tournée vers la voix, mes yeux ... peut importe, il reste fixe comme toujours. Je daigne alors enfin répondre dans un murmure, je reste docile en règle général et je sais faire preuve de politesse, mais je resterai méfiante.

- Bonjour. C'est une évidence oui, mes yeux ont le don de trahir mon handicap. Ce qui est dur n'est pas le manque de vue, au contraire, je dirai que c'est une bénédiction, être ainsi observée sans répits. Je ne vois pas, mais je sens les regards sur moi, c'est déjà trop.

Je ne lui donne pas mon nom. Ce n'est pas un manque de respect, juste que je ne veux pas le dire pour le moment. Je décide juste de me rapproche un peu. Je connais bien l'espace de ma cage maintenant et je sais exactement où je me trouve, pas besoin de me guider pour savoir que je ne suis pas encore au niveau des barreaux. Suffisamment éloignée pour ne pas être saisie. Ca peut paraître stupide dit comme ça, mais la première fois que j'ai été mise dans une cage j'ai fait l'expérience d'un client qui m'a attrapé à travers le barreau pour m'attirer vers lui violement. Une anecdote que je ne souhaite plus revivre.

- Tu sais, pour moi que tu sois aveugle, ne change rien. De toute façon, je ne sors pas un hybride d'un tel endroit pour en profiter. Mais je t'expliquerai ça plus tard...Du moins, si tu veux venir.

Que répondre à cela ? Etait-ce vraiment la vérité ? Même si le ton de sa voix semblait sincère, la méfiance était ici mon seul allié. Je gardais donc le silence, je n'avouerai pas que même si je ne vois pas, je suis capable de me rendre utile. Je ne la connaît pas cette femme, elle n'a pas besoin de savoir ça. Par contre, une phrase me fait réfléchir, tournant dans mon esprit ... "je ne sors pas un hybride d'un tel endroit". Le bruit sourd de sa main qui se pose sur l'un des barreaux.

- Et je crois qu'on devrait commencer par un vrai repas. Pas cette...mixture qui ne sent vraiment pas bon. Qu'est-ce que tu en penses ? On pourrait aller quelque part, selon tes goûts.

A cette proposition, c'est mon estomac qui répondit par un gargouillement avant que je ne puisse prononcer un mot, les lèvres entrouvertes. Je les refermais aussitôt terriblement gênée, sentant la chaleur montée sur mes joues.

- Je ... pourquoi pas. Ca ne peut pas être pire qu'ici ...

Je me rapproche encore un peu tendant mes mains qui finisse par entrer en contact avec les barreaux. Je la cherche et finit par la trouver cette main humaine qui semble vouloir m'aider. Elle est chaude et douce, étonnement douce, rien à voir avec celle des hommes. Je laisse mes bras retombés. A travers l'odeur de cuir, je peux en sentir une autre, légèrement épicée. J'ai un excellent odorat et une bonne ouïe, il faut bien compenser ailleurs.

- Je veux bien vous appartenir, seulement si vous me laisser être utile et ... je vous déconseille de tenter d'offrir mon corps contre de l'argent. Les lois ont changé et j'ai conscience de mes droits, même si je crains que ce ne soit qu'une façade.

Je le savais, je devais paraître bien froide et distante. Mais je ne connaissais pas d'autres moyens de me défendre et de montrer que je ne serai obéissante que sous certaines conditions. J'avais quand même quelques questions qui me trottaient dans la tête.

- Quel âge avez vous ? Votre voix semble jeune mais affirmée. Vous semblez aussi assez vive avec une pointe d'autorité, bien que votre gentillesse semble transparaitre le plus. Vous m'avez l'air suffisamment sincère ... On m'appelle Athenais et je dois avoir dans les vingt ans. Je ne vous direz pas ce que je suis capable de faire, vous le découvrirez bien assez tôt, car je suppose que vous allez m'acheter, non ? Vous avez l'air pressé ...

Je ne donnais pas forcément la meilleure image de moi, mais mes déceptions passées étaient encore ancrées. Il me fallait faire un effort. C'était une femme non ? Sans doute étais-je bien moins en danger, du moins je voulais le croire. Une petite lueur d'espoir d'une vie plus tranquille. J'avançais ma main pour la poser de nouveau sur la sienne et je finie par ne prononcer que ces quelques mots dans un murmure à peine audible.

- S'il vous plait.

Un appel à l'aide ?

Effectivement, mon impression était bonne, la femme répondant au nom de Juna semblait vraiment pressé de quitter cet endroit. Pour une humaine qui paraissait en désaccord avec son espèce et ses agissements, c'était certainement normal. Mais un voile de mystère l'entourait, je n'aurai su dire exactement comment je le savais, je devais le ressentir ou le détecter dans son attitude, je ne sais pas ...
Manger. Oui c'était vraiment une excellente idée et surtout un bon départ. Je ne pouvais nier qu'à cet instant j'avais très faim, mais je mangeais vraiment de tout donc ... comment choisir ?

Alors que j'étais absorbée par mes réflexions et les visions que j'imaginais de nourriture diverses, j'entendis nettement la femme s'éloigner pour se charger de mes papiers et de l'achat. D'autres bruits de pas s'approchèrent quelques instants plus tard. Le cliquetis de la clé dans la serrure et le grincement de la porte m'indiquèrent que je pouvais enfin prétendre à une semi-liberté, toujours mieux que là. Une chose qui m'écœurait au plus haut point c'est que j'étais obligée de prendre la main de ce vendeur pour me guider jusqu'au comptoir de la caisse. Il puait c'était vraiment insupportable, un mélange de sueur, de fumée froide, d'un peu d'alcool, de déodorant pour tenter de masquer tout ça et en surface, une odeur de ... fluide sexuel. J'y étais trop habituée pour ne pas avoir reconnu, il faudrait que je me douche une fois à porté d'une salle de bain, je me sentais vraiment sale d'avoir à trainer dans ce lieu. Et même depuis le taudis dans lequel j'étais avec mon ancien maitre, je rêvais de pouvoir me laver plus souvent. C'était si inconfortable ... Mes cheveux et mon pelage devait être tout emmêlés, gras et si sale ...

Une fois devant le comptoir, le vendeur me mis dans la main ma fidèle canne. Pas de doute possible c'était bien la mienne, j'y avais gravé une marque sur la poignée qui me permettait de m'en assurer. Je relevais la tête et dirigeais mon visage vers la voix de Juna que j'avais à présent bien identifié.

- Prête pour ta nouvelle vie Athenais ?

Je ne savais pas ce que cette "nouvelle vie" allait m'apporter, joie, tristesse, mais je hochais simplement la tête sans rajouter un mot. Je n'avais pas encore souris, je n'en avais pas l'envie ni la confiance aussi. Juna mis dans ma main une veste, sa texture était froide et pas vraiment douce, mais une odeur de cuir s'éleva jusque moi.

- Met-la, il fait froid dehors et tu vas en avoir besoin sur la moto. Alors, où va-t-on manger ?

Je remerciais ma bienfaitrice du moment et plaça la veste sur mes épaules. Le dernier vêtement que je portais actuellement était une robe descendant jusqu'au genoux et un peu trop légère pour la saison.

- Je mange de tout, du moins je pense ne pas être difficile. Emmenez-moi manger là où vous allez habituellement.

Les pas et le mouvement du parfum légèrement épicé m'indiquèrent que ma nouvelle propriétaire s'éloignait pour quitter le magasin, la sonnette de la porte s'actionnant. J'espérais ne plus avoir à l'entendre à l'avenir. J'agitais ma canne devant moi, de gauche à droite, frôlant le sol, je finis par sortir et m'arrêtais juste un instant pour sentir la brise sur ma peau et la chaleur d'un rayon hivernal. L'odeur de Juna m'enveloppait, la veste en était imprégnée malgré le cuir, bizarrement cela semblait me rassurer. J'avais perdu cette dernière, mes repères étaient chamboulés d'être à l'air libre. Je tendais ma main à la place de ma canne et finit par rencontrer un vêtement, le parfum était le même, j'étais rassurée de ne pas avoir confondu. Je tenais toujours fermement le haut de ma maitresse jusqu'à ce qu'elle s'arrête. Elle me mis dans les mains un drôle d'objet, froid, dur, fait de métal, doux à l'intérieur. Rond mais avec deux pointes ressemblant à des oreilles ... Je devais avoir l'air stupide, mais je ne savais même pas ce qu'étais une moto réellement, je savais juste que c'était un véhicule pour se déplacer.

- Excusez-moi, mais ... pouvez-vous m'aider avec ça ?

Une fois affublée du casque sur ma tête, il me fallait grimper sur l'engin. Je n'aurais pas mal aux oreilles avec ça au moins, pas besoin de les garder aplaties, je pouvais même les sentir bouger légèrement à l'intérieur. C'était assez amusant en fait. J'accrochais ma canne à mon poignet avec la petite lanière fixée à al poignée. Mais pour monter sur le deux-roues, là encore j'avais encore besoin d'aide. Je posais l'une de mes mains sur l'épaule de la femme, la laissant ensuite glisser le long de son dos et de la naissance de ses fesses afin de rencontrer le siège froid. Je pouvais enfin l'enjamber et m'y installer. Je m'accrochais alors à la taille de Juna car c'était vraiment une première pour moi cette moto. Je n'avais aucune idée de la vitesse à laquelle ça allait aller, ni comme ça bougerait, j'étais un peu inquiète en réalité et ça devait se ressentir parce que mon corps se mit à trembler. Lorsque le moteur se mit à vibrer sous mes cuisses je sursautais et c'était vraiment bruyant. Mais le plus déroutant c'est lorsque la moto se mit à rouler. Dans les tournant elle semblait tellement se pencher, ça ne me rassurait pas, j'avais l'impression que nous allions tomber. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que je compris qu'il me fallait simplement suivre le mouvement sans peur. Au final, ça commençait même à m'amuser.

- S'il te plais, préviens moi quand tu veux t'agripper à moi que je puisse...m'y préparer !

Durant le trajet, une fois que je fus suffisamment habituée par les mouvements et la vitesse de la moto, cette phrase me revenait en boucle. Sur le coup je me demandais bien pourquoi elle semblait m'avoir marqué. Se préparer ... Qu'avez-voulu dire ma nouvelle maitresse ? Etait-elle plus méfiante encore que je ne l'étais moi-même ? Détestait-elle le contact ? Au final, je crois que je découvrirai bien assez tôt la réponse, je chassais simplement ces mots de mon esprit alors que le véhicule ralentissait. Cela faisait un moment que nous roulions et je sentais déjà des raideurs dans mes cuisses, je n'avais vraiment pas l'habitude de ces engins, faudrait-il que je le fasse ? Je sentis que Juna arrêtait la moto puis la garait, avant d'en descendre, j'avais alors lâché sa taille et mes mains se posèrent instinctivement sur l'avant du siège.

- Alors, ce petit tour en moto t'as plu ?

- Oui beaucoup, c'est une découverte pour moi, je n'avais jamais eu cette occasion.

Je gardais un ton et un visage neutre, j'avais pris l'habitude de ne rien laisser transparaitre. Ne pas montrer la moindre faiblesse ou force. Je dirigeais ma main vers l'avant cherchant un peu d'aide de la jeune femme qui y répondit rapidement. Je la remerciais une fois que mes pieds furent de nouveau sur le sol.

- Je t'ai amené dans un restaurant qui propose un buffet à volonté. Il y a différents plats, des entrées, des plats et des desserts, aussi bien fruits de mer que de viandes, et des accompagnements. Et tu peux en prendre autant que tu le désires, alors, fais toi plaisir !

Une buffet à volonté ? J'en avais déjà entendu parlé, mais jamais je n'avais eu l'occasion d'y accéder. Je pourrais alors vérifier de moi-même si il est vraiment possible de pouvoir y manger autant qu'on veut, jusqu'à plus faim. Je suis d'une constitution assez menue, mais je me rappelle très bien ce que disait mon premier maitre ... "Athenais, je ne comprendrai jamais où tu entreposes tout ce que tu manges" ou bien "Tu manges comme quatre mais tu ne grossis pas d'un poils !".

Lorsque Juna me débarrassa du casque, je remuais mes oreilles enfin libres de tout mouvement, puis, tandis que nous pénétrions dans le restaurant et que je tenais le bras de Juna pour me guider, je m'autorisais à laisser un petit sourire se dessiner au coin de mes lèvres à ces souvenirs. Ma nouvelle maitresse allait découvrir mon insatiable appétit. Mais avant toute chose, elle serait obliger de m'aider à me servir, je ne pouvais le faire par moi-même, surtout dans un lieu où je n'avais aucun repère.

- Alors, les odeurs te paraissent agréables ? Tu as déjà goûté des plats typiquement japonais je suppose, mais à voir si tes anciens...propriétaires te faisaient goûter de tout. Prends ton assiette et suis-moi !

Les odeurs ? Bien sûr, elles étaient agréables et surtout alléchantes ! Je ne pouvais réprimer d'ailleurs ma langue de venir lécher ma lèvre inférieur. J'avais du mal à reconnaître toutes les senteurs, il y en avait trop et mélangées qui plus est. Un serveur nous a guidé jusqu'à une table où je déposais alors la veste en cuir que Juna me prêtais sur le dossier de ma chaise. Je perçu les pas de ma maitresse s'éloigner déjà alors qu'elle avait saisi son assiette. Je cherchais la mienne devant moi sur la table, mais je ne bougeais pas, me contentant de la caresser du bout du doigt. J'avais comme un sentiment d'abandon. Je ne pouvais pas réellement en vouloir à Juna, elle n'avait pas l'habitude de la compagnie d'une non-voyante. Je l'attendis juste en silence, quelques peu gênée parce que je sentais que je devais probablement être observée. Je détestais ce sentiment, celui d'être si différente que tout le monde vous remarque et vous regarde. Je ne vois pas mais je suis loin d'être idiote ... Je perçu de nouveau des bruits de pas et le parfum devenu familier de la jeune femme me rassura quelque peu, mais je me sentais toujours aussi gênée et je n'osais pas lui demander son aide. C'était sans compter sur mon estomac qui se remit à grogner de plus belle, m'arrachant à nouveau cette sensation de chaleur au niveau de mes joues. Je prononçais alors dans un murmure à peine audible ...

- Juna ... Vous voulez bien ... Pouvez-vous m'aider à me servir s'il vous plait ? Puis après un bref temps de pause, je reprenais avec une pointe de tristesse dans la voix. Je suis désolée ... je ne vous serez pas d'une grande utilité en cuisine ...

Silencieuse de nouveau, je laissais ma maitresse me guider jusqu'au buffet. Je ne voyais pas les aliments mais chaque fois que je penchais mes narines au-dessus d'un plat je m'en régalais d'avance. Sur les conseils de Juna, je prenais vraiment un peu de tout. J'avais le sentiment que pour la première fois de ma vie, j'allais vraiment être rassasiée pour de bon. Mais bien sûr, une seule assiette remplie à ras-bord ne suffirait pas pour autant. Une fois de retour à notre table, toute gène avait disparu de mon visage et je saisissais les baguettes laissé tout près de mon verre. J'avais bien sûr l'habitude de les manipuler, il me fallait juste avoir mes repères sur mon assiette. Je tenais cette dernière de ma main gauche et ainsi je pouvais attraper les aliments. C'était si bon, si chaud, si réconfortant. Mon palais s'émoustillait tandis que mes oreilles réagissaient en vibrant et ma queue se balançait doucement de droite à gauche de contentement, un peu comme un pendule.

- Désolée ! Je n'ai pas l'habitude de venir au restaurant avec quelqu'un qui ne voit pas...Ou même de vivre avec ce genre de handicap. Il me faudra m'y habituer mais bien sur que je vais t'aider ! Et ne t'en fais pas, si tu ne peux pas aider en cuisine, tu pourra bien aider autrement. Et tutoies-moi s'il te plait, je me sens vieille quand tu me vouvoies !

Je me doutais que pour ma nouvelle maitresse ce pouvait-être déroutant de devoir interagir ave une aveugle. Heureusement j'étais aveugle de naissance, une fois mes repères ancrés, je pourrai facilement me débrouiller par moi-même et Juna retrouverait ainsi un semblant de liberté. C'est assez énervant de devoir dépendre ainsi des autres. Mais se morfondre n'arrangerait rien, bien au contraire, je deviendrai alors un plus grand fardeaux.
Par contre, pour ce qui était de vouvoyer ma nouvelle maitresse, ça devrait attendre encre, je n'étais vraiment pas habituée à ce genre de traitement. Je ne peux pas dire que je ne l'ai jamais fait, mais je n'étais encore qu'une enfant, je ne connaissais pas encore bien ma place. Oui, je suis soumise, j'ai été éduquée dans cette idée reçue et puis je sais au fond de moi, que je ne pourrai jamais me rebeller d'avantage que je me le permet à certaines occasions.

- Laissez-moi un peu de temps, je n'ai déjà pas l'habitude que l'on se montre aussi attentionné envers moi. Et je dois être honnête, ma confiance n'est pas acquise pour autant.

Toujours ce ton neutre, je ne me permet pas souvent des écarts, je ne veux pas que l'on me pense trop naïve sous prétexte que j'ai un handicap. Pourtant, ce jour-là, je voulais croire que Juna était vraiment ce qu'elle laissait paraître, qu'elle été bien sincère dans son attitude et ses propos. Au fond de moi, j'espérai d'avoir enfin trouver un semblant de paix, mais je ne pouvais baisser complètement ma garde ...

- Qu'est-ce que tu voudrais boire ? Il y a de l'eau bien sur, sinon, il y a différents jus de fruits, de la bière japonaise, du saké aussi, quelques autres alcools ou des cocktails sans alcool. Comme je conduis, ça ne me dérange pas que tu prennes de l'alcool.

Je vidais ma bouche avant de répondre, je ne devais pas donner la meilleure vision de ma personne parce que j'étais en train de me goinfrer c'est le mot. Mais j'avais tellement faim et je n'avais pas mangé de nourriture aussi bonne depuis si longtemps. Quelque part, cela me rappelait mon enfance. Je levais les yeux en direction de la voix confiante de ma maitresse.

- Pas d'alcool, merci, je déteste l'odeur et le gout aussi d'ailleurs. Et puis, j'en connais les effets sur les humains déjà ... De l'eau suffira, je mange des fruits à l'occasion, mais je n'en raffole pas. Je préfère de loin la viande saignante. Mais je peux manger de tout quand le besoin s'en fait sentir.

J'étais déjà retournée à mon assiette, buvant quelques gorgées d'eau qu'on avait servi dans mon verre, certainement Juna, je n'en étais pas sûr, mais je la remerciais tout de même. La jeune femme s'adressa alors de nouveau à moi alors que je venais de finir la première tournée, une dernière bouchée et les baguettes entre mes lèvres.

- Dis-moi, je peux t'interroger sur ton passé ? Enfin, si tu veux m'en parler, sinon je comprendrais...Tu as eu des maîtres ou des maîtresses avant ? Ils se comportaient comment avec toi ?

Je m'arrêtais brusquement, mes canines mordant dans le bois. Evidemment que je n'avais pas envie de parler de ça, au pire, pourrais-je mentionner mon premier maitre sans en dire trop, pour le second ... je préfèrerai l'oublier tout simplement. Un long silence s'abattit sur notre table. J'étais en proie aux doutes. Juna avait l'air compréhensive, un peu maladroite par moment mais sa compagnie était agréable, un peu comme LUI au final. Puis de toute façon pourquoi devrais-je être gênée de raconter mon histoire, n'était-ce pas de la faute de son espèce après tout ? Mais devait-elle vraiment payer pour tout ces humains sans vergogne ? Je soupirai ayant enfin pris ma décision. Je posais mes baguettes qui devait être mordillées puis je décidait d'adopter mon habituel teint neutre, aussi détaché que possible, comme si j'allais raconter une simple histoire banale.

- Il n'y a pas grand chose à en dire, je suis une hybride, ça résume déjà assez bien la situation et le monde dans lequel je vis, si on peut appeler ça vivre ... Je n'ai eu que des maitres au nombre de deux. Le premier a cru qu'il pourrait remplacer mes parents desquels il m'avait arraché. J'étais sa création défectueuse et il pensait avoir fait un geste charitable en me sauvant d'une mort certaine puisque j'étais considérée comme un "déchet". Quand au second ...

La colère était déjà palpable au fond de moi, mais la haine que je sentais monter, déforma alors le ton de ma voix et je ne pu cacher les intonations froides. Je tournais légèrement la tête de côté, sachant pertinemment que ma nouvelle maitresse se tenait face à moi.

- Il m'a prise pour un jouet sexuel qu'il a trimbalé de client en client, mais il n'appréciait pas beaucoup mes petites tentatives de rébellion et m'a laissé des marques pour que je m'en souvienne. Fort heureusement, je ne peux pas les voir, mais je les ressens encore nettement. Je tournais alors mon visage de nouveau vers Juna et murmurait froidement ... Dites-moi ? Tous les mâles de votre race sont-ils ainsi ? Et les femmes sont-elles aussi capable de tant de violence ? Et vous, Juna, pourquoi semblez-vous vouloir vous évertuer à nous sauver ? Etes-vous véritablement sincère ou bien jouez-vous la comédie ? Vous savez, même chez les hybrides, les femelles sont les plus malignes et savent bien manipulées leur monde ...

Le ton était donné, je crois qu'au fond de moi, je n'avais pas voulu paraître aussi cinglante, mais sur le coup ma nouvelle maitresse avait ouverte la mauvaise porte, celle qui ne s'était pas encore complètement refermée. Me détesterait-elle ? Est-ce que cela me toucherait ? Allait-elle me plaindre ? J'attendais juste sa réaction, je prenais juste peu à peu conscience que j'avais peut-être décharger une partie de ma colère et de ma haine sur la mauvaise personne ... Je n'en étais pas vraiment sûre ...

- Ne t'en fais pas, je me doute que ça ne doit pas être évident. Prends ton temps, et pour le moment, tant que tu manges à ta faim et que tu te sens bien, ce sera le plus important à mes yeux !

Ces paroles prononcées plus tôt avaient-elles été sincères ? La voix de Juna pourtant semblait l'être et elle avait une intonation douce dans ces moments-là, rassurante et chaleureuse aussi. C'est vrai qu'en 'entendant parler, on pouvait facilement être tenté de lui faire confiance, mais je ne pouvais pas me le permettre pas aussi tôt dans ce début de relation si fragile. Alors lorsque j'avais fini de lui répondre au sujet de mon passé et qu'elle s'exprima à son tour, je m'en voulu un peu d'avoir été si dure ...

Décidément, les humains me dégoutent vraiment...

Après un silence où je me retrouvais gênée et un soupire profond qui me conforta dans mon impression, ma maitresse poursuivit avec une pointe de tristesse, mais surtout avec une pointe de colère froide. C'était vraiment très subtile pour le remarquer, mais mon ouïe me faisait rarement défaut. Je baissais alors la tête en entendant ses mots ...

Un passage avait surtout retenu mon attention ... "Et si je veux aider autant d'hybrides que possible c'est que...je sais ce que ça fait d'être considéré comme un jouet. Je sais ce que c'est que la misère, de tenter de survivre dans la rue, seule, à voler de la nourriture ou à faire bien pire juste pour un peu d'argent et l'espoir d'avoir le ventre plein..." L'humaine avait mentionné une partie de son passé, bien sûr cela n'était qu'un petit avant gout et j'avoue que j'étais vraiment curieuse d'en apprendre d'avantage à présent sur Juna.

- Évidemment, si tu as des questions, tu peux m'en poser. J'y répondrai. Mais avant tout, allons remplir nos assiettes ! Tu viens ? Je vais te faire découvrir les plaisirs des viandes qui n'attendent que nous !

- Je pense que cela peut attendre ... Je ne suis pas encore très à l'aise, je n'ai pas pour habitude qu'on se soucie autant de moi comme vous le faites.

Sa voix qui avait repris son ton habituel me sortie de mes pensées. Soit, une petite pause dans cette discussion était bienvenue, surtout que je trouvais pour ma part, qu'il était encore un peu trop tôt pour tout déballer sur la table. Je me levais et suivais June avec mon assiette, guidée de nouveau par elle pour la deuxième tournée. Rien qu'à l'odeur de viande, je ne pu réprimer ma langue qui vint se balader de nouveau sur ma lèvre inférieure. Et une fois de retour à table, c'est comme si il n'y avait pas eu de première assiette remplie, je mangeais toujours avec un bon appétit. Finalement faire confiance à la jeune femme pour ce qui était de la nourriture avait été une bonne idée, je goutais de nouvelles saveurs et me régalait, mon estomac lui s'était tu de bonheur. Je buvais aussi pas mal pour faire passer tout ça, le serveur dû nous remettre une carafe pleine. Une fois mon assiette terminée, je lâchais un soupire d'aise et étirais mes bras. Je réalisais alors que je n'étais pas seule, que j'étais dans un restaurant bondée. Je m'excusais, mes joues chauffant de nouveau. Elle restèrent ainsi un bon moment, mais pas seulement à cause de mon geste, j'étais curieuse ... curieuse de savoir à quoi pouvais ressembler Juna. Le soucis c'est que je ne vois qu'avec mes mains et je ne savais pas du tout comment la jeune femme réagirait à ma demande. Cela m'était déjà arrivée de me faire rejeter pour cette simple question qui pour moi, semblait naturelle ...

- Euh ... excusez-moi mais j'aimerai mettre un visage sur votre voix ... Pour ça ... j'ai besoin de mes mains, vous comprenez ? Maitresse ...

Je ne pouvais voir la réaction de Juna, accepterait-elle ? Serait-elle gênée ? Il faut dire aussi que je n'avais peut-être pas choisi le bon moment et le bon endroit, mais je ne pouvais plus retenir ma curiosité la concernant. Un nom, une voix, cela ne me suffisait pas.

- Eh bien, je vois que tu avais faim ! Si tu manges comme ça tout les jours, tu auras intérêt à faire du sport !

Ces quelques mots m'avait beaucoup amusé et pour la première fois laissais un sourire courir sur mes lèvres face à ma nouvelle maitresse. Rien de bien extravaguant, juste un simple sourire qui accompagna ma réponse.

- Je ne grossis pas, jamais, que je mange beaucoup ou peu. Mon premier maitre se demandait souvent où finissait toute la nourriture que j'ingurgitait. Et puis, je n'aime pas le sport, déjà parce que la plupart me sont inaccessibles. J'aurai pu aimer l'équitation je pense, mais comment guider un cheval sans être capable de se guider soi-même ?

Lorsque j'avais fait ma demande pour pouvoir étudier l'aspect de Juna, sa réponse fût hésitante, je comprenais un peu pourquoi, peu de personne était vraiment à l'aise avec une aveugle. La jeune femme ne semblait pas faire exception. Je ne lui en voulais pas, jusque là elle s'était montrée avenante et gentille, je ne pouvais abuser plus qu'il ne fallait.

- Eh bien...je comprends la demande, mais... Pas ici, d'accord ? Nous ferons ça quand on sera à la maison. Un restaurant n'est pas l'endroit idéal pour faire ce genre de choses, et une fois à la maison, tu pourras...explorer en prenant ton temps.

Je ne distinguais pas ses expressions, mais je ressentais parfaitement sa gène. Cependant un mot avait retenu mon attention plus particulièrement ... "explorer" ? Je me demandais ce qu'elle avait voulu dire par là, surtout en sachant que bien trop souvent je ne m'arrêtais pas aux simples détails du visage. Ma maitresse le découvrirait bien assez tôt et cette dernière changea rapidement de sujet.

- Et si on allait chercher le dessert ? Comme ça, on pourra vite rentrer, on a un sacré programme avec ça en plus ! Parce que je dois aussi t'expliquer beaucoup de choses, te faire visiter la maison et peut-être que tu seras fatiguée ? Ou que tu auras envie d'un bain par exemple ?

Le mot "bain" résonna dans mon esprit comme si on s'apprêtais à me donner la liberté. Je me sentais tellement sale, pas seulement à cause de l'animalerie, mais parce que même chez mon ancien maitre, je ne pouvais me laver très souvent et vu à quoi j'étais employée, vous imaginez bien que je rêvais de pouvoir enfin me débarrasser d'un peu de cette souillure incrustée sur ma peau, mes cheveux, mon pelage. Mais je n'avais pas beaucoup de temps pour y penser, Juna me guida de nouveau pour faire le tour des desserts. Je la laissais faire de nouveau mais cette fois avec une pointe d'appréhension. Et cette dernière serait fondée ... En même temps comment aurait-elle pu le deviner ? Une fois installée, je goutais un peu chaque dessert, mais très vite mon choix ne se porta que sur ceux à base de chocolat. Déjà, je n'étais pas très friande des fruits, mais surtout, ce met au gout si appétant était depuis ma plus tendre enfance mon péchée mignon. J'étais capable de manger plusieurs tablettes de chocolat en une journée sans tomber malade. J'en voulais toujours plus et si je n'avais pas été hybride, sûrement que je n'aurai pas pu m'en passer de toute une journée. J'avais donc délaissé une bonne partie de mes dessert et je tentais de les manger quand même pour ne pas gaspiller, mais je ne pu pas aller jusqu'au bout. Je déclarais dans un murmure timide.

- Je ... Je suis désolée mais ... je n'arrive pas à finir. Après un silence je reprenais. Merci beaucoup pour ce repas, ça faisait longtemps que je n'avais pas aussi bien mangé. Je ferai ce qu'il faut pour vous rembourser. Je me levais alors et m'inclinais face à Juna. Je suis à votre service, maitresse, ordonnez et j'obéirai.

Une fois que la jeune femme eu réglé l'addition, nous avons quitté notre table pour retourner vers la moto, j'avais de nouveau pris le bras de ma maitresse afin de me guider jusque là. Il était un peu énervant des fois de devoir autant dépendre des autres pour des choses aussi futiles ...

- Prête ? On reprend la moto et on rentre à la maison, sauf si tu veux passer quelque part avant ?

Je hochais la tête négativement, je n'avais pas de demande ou d'exigence particulière et j'avoue que j'étais curieuse de découvrir mon nouvel environnement. J'allais devoir une nouvelle fois prendre mes repères. Je lâchais le bras de la jeune femme qui plaça par la suite de nouveau le casque sur ma tête. Je ne savais pas ce que l'avenir avec cette nouvelle maitresse me réservait, mais j'osais espérer qu'il serait meilleur que le dernier ...