Pour quoi est-ce que tu te bats ? Pour qui ?

Il ne s'était pas attendu à ce que son adversaire réponde. Malgré la violence de ses mots son visage ne laissait presque transparaître aucune émotion. S'il y en avait Wilson savait que, de toute manière, il était trop mauvais à ce genre d'exercice pour pouvoir dicerner quoi que ce fut mais ça n'avait pas d'importance. Il grimaça un sourire en l'entendant clamer son amour pour ses Maîtres passé et présent. Il en avait rien à foutre et il avait  clairement pas prévu d'attaquer l'actuel puisqu'elle semblait très heureuse de sa condition. On ne sauvait pas ceux qui ne voulaient pas être sauvé, ça n'aurait aucun sens.

- Tu ne me connais pas plus que je te connais, extrapole pas trop gamine.

Elle touchait juste quand elle disait qu'il n'avait jamais dû vivre en compagnie d'un humain mais il en avait côtoyer un bon nombre pendant qu'il était reproducteur et ils étaient loin d'être tous sympathiques. La plupart des scientifiques se montraient plus froids qu'autre chose mais il avait surtout eu loisir de rencontrer des propriétaires et, là, il en avait vu de toutes les couleurs. Y'en avait des qui avaient l'air de prendre soin de leur propriété et d'autres qui s'en servaient très clairement comme d'un sac de sable. Il avait toujours détesté devoir être en contact avec une hybride qui avait tout sauf envie de sa présence. Il n'avait pas baissé sa garde et était parfaitement préparé lorsqu'elle se jeta sur lui, toutes griffes dehors. Le combat s'annonçait serré. Elle savait ce qu'elle faisait mais lui aussi. Il encaissait la plupart des coups qu'elle lui portait. Même si elle le faisait avec précision elle manquait légèrement de force pour parvenir à briser sa garde. Elle avait l'agilité mais il avait la force brute. Cette simple différence lui permit de porter une contre-attaque des plus efficace. Alors que le pied de la jeune femme venait s'écraser contre ses côtes, lui tirant malgré tout une grimace de douleur, il en profita pour lancer son couteau en direction de la gorge de son adversaire. Il n'était pas question de pitié. Elle voulait sa peau ? Verrait bien qui verrait le dernier, rien ne l'empêchait d'avoir la sienne. Cependant, elle était plus armée qu'il ne lui avait semblé au départ et elle para le coup grâce à une lame que contenait le brassard qu'elle portait à l'avant bras. La lame du ratel dévia et partit en direction du visage de l'humaine. Il ne fit pas gros de dégâts mais sectionna le bandeau qui protégeait les yeux de la jeune femme, révélant deux prunelles d'un bleu glacial. Elle cilla, apparemment incommodée par la lumière malgré le peu de luminosité qui traversait les frondaisons. Cette seconde d'inattention coûta cher à Wilson qui sentit la lame de l'inconnue mordre son épaule. Il grogna de douleur avant de reculer. Son épaule gauche le lançait violemment, la blessure était la plus profonde qu'elle lui avait infligée pour le moment.

Ils se jaugèrent quelques secondes avant qu'il n'aperçoive dans la main de la catin un éclat argenté. Elle tenta de ficher l'arme de jet dans sa poitrine et il crut qu'il était sorti d'affaire en l'esquivant mais il sentit alors éclater une nouvelle douleur. Il poussa un cri dans lequel se mêlait douleur, surprise et colère. Elle ne l'emporterait pas au paradis ! Elle s'élançait maintenant vers lui. Serrant les dents Wilson récupéra à son propre compte l'arme qu'on venait de gracieusement lui offrir. Le petit couteau repartit en sens inverse, retour à l'expéditeur. La folle tomba face contre terre mais le ratel ne fit aucun mouvement dans sa direction, tentant de juguler la douleur qui émanait de sa jambe blessée. Épaule et cuisse gauche. Il avait maintenant tout un côté d'handicapé à son grand déplaisir. Néanmoins il était ravi de voir qu'il n'était pas le seul à porter les stigmates de l'affrontement. Elle aussi avait un appui affaibli et la perte de son bandeau devait affecter un peu sa vision. Elle s'était installée dans une position défensive, attendant visiblement de voir ce qui allait venir. Wilson s'élança, couteau dans la main droite il fendit l'air tout en tentant de barrer toute retraite à son adversaire d'un crochet du gauche, destiné à son foie. Il la manqua de peu avant de décider à s'exposer. Elle sous-estimait son amplitude de mouvement. Un sourire mauvais ornant ses lèvres il se lança en avant alors qu'elle était encore au milieu de son mouvement précédent. L'une des cornes du ratel parvint à esquinter l'une des épaules de la jeune femme mais elle avait été trop rapide pour qu'il puisse l'entraîner au sol. Utiliser la dizaine de kilos qu'il portait sur le dessus du crâne n'était jamais aisé et il se laissa rouler au sol, emporté par l'élan avant de se relever avec vivacité. Sa nuque le lançait et il savait qu'il l'avait peut-être mal jouée. Il avait espéré pouvoir atteindre un point plus vital que l'épaule. Néanmoins il savait que ce n'était pas exactement bénin de voir une parcelle de son corps partiellement traversée par quoi que ce soit. Un grondement animal montait du fond de sa gorge. Le ratel laissait la part de chasseur qui sommeillait en lui prendre le dessus. Habituellement il tentait de calmer cette fureur qui grandissait à chaque contrariété mais, celle fois-ci, il n'avait pas besoin de contrôler quoi que ce soit. C'était un combat à mort et il comptait bien gagner. Il avait encore trop à faire pour qu'une donzelle en robe lui tranchât la gorge. Ils étaient de nouveau séparés par quelques mètres. Blessés et le souffle court il était impossible de savoir qui prendrait la prochaine initiative. Wilson aurait voulu que le combat puisse se dérouler au sol et entourer ses mains autour de la gorge frêle. Ses yeux dorés ne lâchaient pas son adversaire des yeux. Il ne se laisserait plus surprendre par une arme de jet pas plus qu'elle ne sous-estimerait une nouvelle fois les cornes qu'il portait. Elles appartenaient peut-être à un herbivore mais elles étaient loin d'être inoffensives. Leurs armes n'étaient pas les mêmes mais, dans ce combat, ils semblaient pourtant à égalité.

La gamine ne semblait pas encore avoir épuisé la totalité de ses projectiles et en lança de nouveau un en direction de son visage. Wilson se contenta de pencher la tête sur le côté, l'arme touchant l'une de ses cornes avant d'aller se perdre dans un buisson. Sa jambe blessée le faisait souffrir et le bras qui allait avec était guère mieux. Néanmoins, il put le constater lorsque son adversaire se lança vers lui, il n'était pas le seul dont les appuis étaient atteints. Ils ne cessaient de s'échanger des coups, chacun exploitant la moindre ouverture. Il crut à un moment que ce combat allait en finir. Le côté blessé de la jeune femme était exposé. Il lança son couteau dans cette direction, bien décidé à ce que la lame se plante dans l'abdomen découvert. Cependant, comme il l'avait fait auparavant elle exploita son excès de confiance et pivota de côté avant de saisir son avant bras. Il ne put retenir un petit cri de douleur lorsque les crocs acérés se plantèrent dans sa chaire. De surprise il fut forcé de lâcher son arme. Tout n'était malgré tout pas perdu puisqu'il en profita pour lancer un coup de poing qui atteignit la jeune femme au visage. Il avait espéré que cette attaque la ferait lâcher prise mais il n'en fut rien et ils continuèrent d'asséner des coups aussi violents que peu précis. La joute se termina par une rencontre assez violente avec le sol. Un coup de pied l'avait cueilli au niveau du cou tandis que son poing avait de nouveau rencontré le visage de son adversaire. Le menton cette fois-ci. Ils s'écroulèrent. Les oreilles de Wilson bourdonnaient et la douleur était presque insoutenable. Il soupçonnait qu'une côte ou deux ait été brisées durant l'altercation, faisant de chacune de ses inspirations une souffrance de plus. Il avait le souffle court et chaque parcelle de son corps lui hurlait de cesser cet affrontement. Il était au bout. Malgré tout il ne pouvait pas se permettre de perdre. Il n'avait pas le droit. Elle ne pouvait pas le réduire au silence pour la simple et bonne raison que son discours, que ses idéaux, la dérangeait. Et puis, il ne voulait pas risquer de lâcher le loup dans la bergerie. Rien n'indiquait qu'elle s'en tiendrait à sa propre mort et qu'elle n'irait pas chercher ses compagnons pour faire de même avec eux. Il ne pouvait pas les laisser tomber. Il n'avait pas le droit de crever ici. De toute manière il n'en avait aucune envie. Pas alors qu'il était en train de trouver un semblant d'équilibre dans sa nouvelle situation de dirigeant. Il s'était battu trop longtemps pour qu'on donzelle en robe noire le réduise au plus définitif des silences. La respiration sifflante il se força à se relever, le visage tordu dans une grimace de douleur. Il tenta de frapper la jeune femme sans y parvenir.

Les minutes s'écoulaient avec une lenteur qui semblait incroyable. Ils semblaient perdus dans un espace-temps qui leur était propre. Le combat avait perdu de sa superbe. Ni l'un ni l'autre ne tentait d'établir de stratégie précise. Ils survivaient. C'était à présent à qui craquerait le premier. Le premier qui s’évanouirait à cause de la perte de sang aurait perdu puisque l'autre pourrait, à ce moment-là, lui faire la peau sans qu'il résistât. La jeune femme finit par placer un coup au niveau de son diaphragme. Au début de leur combat il en aurait rit tant le coup manquait de force. Mais pas maintenant. Pas alors que son propre corps s'avouait vaincu. Il recula et s'effondra, sa jambe blessée n'avait pu soutenir son poids lors du mouvement en arrière. Son adversaire ne s'attendait apparemment pas plus que lui à ce qu'il chutât et elle se retrouva sur lui. Pendant un court instant, le ratel crut que tout était terminé. Mais non. Bien sûr que non. Ce combat était une lutte à mort. Il avait manqué l'oublier pendant une seconde et cela avait bien failli lui coûter la vie. La jeune femme possédait encore une lame et cette dernière était passée bien près de son visage avant qu'il ne parvienne à la dévier. Il ne savait pas vraiment par quel miracle ses bras avaient pu lutter. Simple coup de poing dans les côtes déjà endolories de son adversaire. Sans la lutte âpre qui avait précédé cet acte jamais cela n'aurait pu la faire dévier de son objectif. A la plus grande surprise de Wilson elle se mit à pleurer. Les larmes se mêlaient au sang, partiellement coagulé en certains endroits. Des sillons plus clairs se faisaient une place sur ce qui restait du joli minois. Des étoiles noires se mirent à danser devant ses yeux. Était-ce l'hémorragie ? Certainement. Il s'en tint à cette hypothèse jusqu'à ce que son esprit engourdi finisse par se rendre compte que ce n'était pas le sang le problème, mais le manque d'oxygène. Cette espèce de petite garce essayait de l'étrangler ! Dans un dernier sursaut de colère il parvint à lui asséner un violent coup de tête. Son crâne heurta rudement le sol après ce mouvement. Il n'avait pas la force de retenir le poids de ses cornes. Pas dans l'état d'épuisement dans lequel il se trouvait.

La scène la plus étrange qui lui eut été donnée de voir se déroula ensuite. La jeune femme continuait de pleurer. Les pleurs inondaient son visage, semblant vouloir nettoyer les ravages de la lutte telles les larmes du phénix. Les premiers mots qu'elle prononça il ne les entendit pas. Au bord de l'évanouissement Wilson dut faire un réel effort pour ne pas simplement sombrer. Cependant, elle ne poursuivit pas immédiatement, les sanglots avaient pris le dessus sur son discours et le ratel la sentait trembler tandis qu'elle prenait appuis sur lui pour ne pas tomber. Il aurait pu voir là la plus belle des occasions pour en terminer définitivement mais il croisa le regard de la jeune femme. Dans les yeux si bleus vivaient une détresse comparable à celle qu'il avait déjà pu observer chez des êtres qui avaient subi mille sévices. Elle n'avait certainement pas vécu les mêmes choses que ceux qu'il avait aidé auparavant mais la peine qu'il lisait dans ses yeux était réelle. Sa colère retomba, remplacée par de l'incompréhension. Il savait qu'elle détesterait qu'on la prenne en pitié mais il ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine peine devant tant de détresse. Elle recommença à parler. Ses propos étaient hachés, entrecoupés de sanglots, mais malgré tout parfaitement audibles et compréhensibles. Elle termina sa tirade et se laissa mollement tomber sur le ratel qui tentait de faire un peu de tri dans ses propres pensées. Pas facile quand on avait l'impression d'avoir un marteau piqueur logé dans le cerveau mais il essayait. Il lui devait bien ça. Ne serait-ce que parce qu'elle lui avait offert le combat le plus intéressant qu'il ait eu depuis plusieurs années.

- Pour quoi est-ce que tu te bats ? Pour qui ?

Ah, ça c'était une question à laquelle il pouvait aisément répondre. Pas sûr qu'elle verrait ce qu'il voulait dire puisqu'elle ne semblait pas avoir de problème particulier avec la maltraitance de ses semblables mais peu importait. De toute manière, dans leur état, ni l'un ni l'autre ne risquait d'aller bien loin. Leurs respirations sifflantes étaient totalement asynchrones et formaient une mélodie dissonante dans la forêt qui tentait de reprendre peu à peu ses droits maintenant que le combat était terminé.

- Je me bats pour ceux qui n'en ont pas la force. Tu sais gamine, tout le monde ne sait pas se battre comme toi. Là t'as reçu des coups mais j'en ai reçu aussi et, en soit, c'est parce qu'on a bien voulu prendre part à la bataille chacun de notre côté. J'aurais pu décider de ne pas me battre et de te laisser me trancher la gorge. Mais je pouvais pas faire ça. Pas alors que certains vivent dans la peur de leur Maître, dans la crainte de la violence physique ou des privations pour une assiette cassée ou un ménage pas fait correctement. J'ai des côtes brisées mais c'est parce qu'on s'est battus à armes à peu près égales. J'ai recueilli des hybrides avec de telles blessures qui leur avait été infligées par amusement ou parce qu'un peu ivre leur Maître leur avait donné un coup mal placé.

Il soupira. Il parlait trop et se rendait compte que c'était plus ou moins décousu mais il avait tellement mal à la tête. Tout était déjà si confus sous son crâne, difficile de rendre la chose intelligible pour autrui de cette façon. Il grimaça de douleur lorsqu'il tenta de soupirer. Il aurait bien chassé le sang qui coulait lentement mais sûrement en direction de ses oreilles mais il avait comme l'impression que toutes les connexions nerveuses entre son corps et son cerveau avaient cessé de fonctionner. Son enveloppe charnelle s'était mise sur pause, estimant qu'il avait vraiment trop fait le con. Dommage.

- Désolé si je suis pas très clair. Simplement, je comprends que tu sois heureuse avec ton Maître et de toute manière s'il te maltraite pas on a aucune raison de venir te chercher. On va pas aller chercher des hybrides qui veulent pas qu'on les aide, ou qui n'en ont pas besoin. On tente d'aider ceux qui ne peuvent pas faire autrement que d'endurer.

Elle avait parlé d'autre chose que de son Maître actuel. Il ferma les yeux quelques secondes. Ce geste aurait été impensable seulement quelques minutes plus tôt. Il sentait toujours le corps de son adversaire contre le sien et savait qu'elle n'était pas plus en état physiquement qu'il ne l'était lui-même. Et puis, il lui donnait des informations qu'elle était venue chercher, il y avait peu de chances pour qu'elle relance les hostilités. Il dût s'avouer que même si le combat reprenait il serait de toute manière incapable de faire quoi que ce soit pour assurer sa propre défense. Il perdait le fil de ses propres pensées et se força à reprendre là où il en était resté par rapport aux questions de la jeune femme.

- Je sais pas qui était ton ancien Maître et je sais pas pourquoi il a été pris pour cible. Je peux rien te dire à ce sujet. Sache simplement que je ne parviens pas à cautionner des actes comme ceux de Tanabata. Depuis que je suis à la tête de la Révolution de telles actions n'ont plus été entreprises parce que je suis d'accord avec toi sur au moins un point : tous les humains ne sont pas mauvais.

Le ratel n'avait pas rouvert les yeux et il ne parlait pas fort mais il savait qu'elle parviendrait à l'entendre malgré tout. Il savait que sa position par rapport à l'humanité n'était pas partagée par l'ensemble de ses camarades mais, contrairement à beaucoup, Wilson n'avait pas eu lui-même à subir de sévices de la part de ceux qui le possédait lorsqu'il était encore un esclave. Il était révulsé par ce que subissaient certains des siens mais parvenait à faire la part des choses puisque n'ayant pas de griefs personnels associés à toute cette histoire. Il s'était tu. Il ne savait pas si ce qu'il disait pouvait aider la jeune femme à comprendre, peut-être même à faire son deuil. Il ne savait pas. Il aurait voulu dire qu'il s'en foutait royalement mais, étrangement, ce n'était pas le cas. Elle était parvenue à le toucher. Il avait lu une telle détresse et un tel besoin de réponses dans les grands yeux bleus qu'il aurait été mentir que de prétendre qu'il était parfaitement indifférent.

Wilson avait de nouveau fermé les yeux tandis que la voix de son adversaire lui parvenait. Elle semblait lointaine, si lointaine. Il se força à relever les paupières pour ne pas sombrer dans l’inconscience. Elle lui demanda une nouvelle fois qui avait bien pu attaquer son ancien maître. Le ratel voulu hausser une épaule et grimaça de douleur. Pendant une seconde il avait oublié que la gauche avait été blessée de manière assez significative. Il se contenta de donc de répondre dans un murmure.

- Je sais vraiment pas. Je pourrais essayer de parler à des anciens.

Il ne termina pas la fin de sa phrase. Poser la question à des hybrides qui faisaient partie de la Révolution depuis plus longtemps que lui impliquait qu’il puisse rejoindre la Grotte à un moment ou à un autre et, pour le moment, c’était loin d’être gagné. La jeune femme poursuivit, comme si elle ne l’avait pas entendu, parlant de ce qui s’était passé au marché de Noël. De nouveau il ferma les yeux. La lumière lui semblait soudain trop crue et les oiseaux étaient trop bruyants. Il avait mal et c’était à peu pres tout ce qu’il était capable de comprendre en cet instant. Il tenta néanmoins de mettre de l’ordre dans ses idées afin de lui retourner une réponse ou, tout du moins, des mots qui ne soient pas assemblés au hasard. Lorsqu’il fit un nouvel effort pour rester éveillé ses prunelles dorées croisèrent le regard bleu de la jeune femme. Elle attendait de toute évidence une réponse.

- Nous vivons au beau milieu de la forêt. Nous ne sommes connectés à aucun réseau d’une part parce qu’on est trop loin et d’autre part, pour assurer notre propre sécurité. Les explosions n’étaient que des fumigènes, pour les plus proches yeux et gorges irrités seront les seules blessures. Il fit une pause, ordonnant autant que possible son discours. La cohue et les blessés qui en ont resulté sont un très mauvais calcul de ma part. Cependant, sans ce genre d’action certains hybrides ne connaîtraient toujours pas notre existence. Elle avait parlé d’autre chose en lien avec le marché, il en était certain, il suffisait de remettre le doigt dessus. Pour les hybrides présents aux sorties ils ne faisaient que le guêt et avaient pour ordre de n’attaquer personne sauf s’ils étaient eux-mêmes sous la pression d’un ennemi. Regarder qui partait précipitemment en tractant son hybride par le bras ou au bout de sa laisse nous offrait beaucoup plus d’informations que d’attaquer ceux qui tentaient de sortir.

Cela leur avait permis de se mettre sur la piste de deux ou trois maîtres abusifs qui n’avaient jusqu’ici pas alertés leurs détecteurs. Wilson ne savait pas si ce qu’il disait parviendrait à convaincre la jeune femme mais il n’avait malheureusement rien de mieux à lui offrir. Il lui en avait plus révélé sur son organisation en quelques phrases qu’il ne l’avait fait avec beaucoup. A défaut de s’apprecier ou de se comprendre, un respect mutuel était né. Le ratel avait l’impression que ce n’était pas une mince affaire que de gagner le respect de la jeune femme aussi s’estimait-il content pour le moment. Les paroles suivantes suivirent le meme cheminement à propos de leur action au marché de Noël.

- Tu t’es exposé… C’est dangereux.

Wilson aurait bien ricané en lui disant qu’il se fichait du danger mais ça aurait été un mesonge. Il avait su que n’importe qui apparaissant sur cet écran serait en danger. Il avait simplement préféré que ce soit lui plutôt qu’un autre. Il esquissa un vague sourire en songeant à une petite demoiselle qui lui avait un jour fait des reproches assez justifiés.

- On m’a déjà dit que je voulais trop me la jouer super-hero. Tu n’as qu’à mettre mon apparition sur cet écran là-dessus. Son sourire fana alors qu’il donnait une réponse un peu plus sérieuse. N’importe qui aurait été en danger. Ma tête est mise a prix depuis très longtemps, maintenant elle vaut seulement un peu plus cher. Et puis, pendant que nos amis les Rabatteurs me cherchent partout, ils laissent mes agents tranquilles ce qui arrange grandement nos affaires.

Il ne pouvait pas la convaincre du bien fondé de ses actions, ni de la justesse des idées qu’il voulait transmettre, il ne pouvait que parler et espérer que cela puisse faire écho à un moment donné. La tête appuyée sur le sol et le sang dégoulinant des blessures qu’il avait sur le visage, le ratel avait du mal à voir ce que faisait la jeune femme. La seule chose évidente était qu’elle ne se trouvait plus directement dans son champ de vision et qu’elle s’agitait, souffrant apparemment autant que lui. Il songea qu’avec un peu de chance une patrouille les trouverait. Cependant, cette idée apportait son lot de questions. Qu’est-ce qu’il ferait de la jeune femme s’ils débarquaient ? Elle avait tenté de le tuer, c’était l’évidence même, mais d’un autre côté ils n’avaient pas fini de discuter. Une petite voix disait à Wilson que, si les siens arrivaient maintenant, il pourrait bien tempêter autant qu’il voudrait ils la mettrait en pièces. Il grogna, ne sachant que faire. La voix de la jeune femme, rendue rauque par la douleur et les pleurs le surpris dans ses réflexions.

- Je dois refermer ta blessure, ça va te faire mal…

Wilson n’eut pas le temps de s’apesentir sur l’incongruité de ces paroles. Il sentit la morsure de l’alcool sur la plaie à vif qu’il avait à la cuisse. Malgré lui il se cambra tout en poussant un râle de douleur. Bordel de merde. La douleur fut la plus forte et le noir l’avala. Il rouvrit les yeux, clignant plusieurs fois des paupières. La jeune femme était toujours étalée sur lui mais l’air embaumait l’alcool. Il n’avait pas dû rester inconscient plus de quelques minutes sinon l’odeur se serait dores et déjà dissipée.

- Est-ce que t’as pris le temps de faire pareil pour toi ? J’te rappelle que faudra que tu retournes voir ton maître. Il se fera du soucis s’il te voit pas rentrer.

Elle avait l’air à bout et, pour Wilson, le plus important était qu’elle ne s’endorme pas. Si elle se vidait de son sang sur lui ce serait le pompon. D’autant plus qu’elle avait de quoi se soigner. Il n’arrivait d’ailleurs toujours pas à comprendre pourquoi elle l’avait soigné lui. Il cessa d’y penser, l’esprit trop engourdi pour réfléchir à des soucis plus immediats que d’éviter de se retrouver avec un cadavre sur la poitrine. Il se sentait totalement impuissant face à la situation et, le pire était encore d’admettre que c’était bel et bien le cas. Il lui avait parlé de son maître parce que cela semblait important pour elle et que cela lui permettrait peut-être de trouver suffisamment de ressources pour panser ses propres plaies. Au vu de sa faiblesse il ne pourrait pas se relever à moins de s’aider d’un élément quelconque du décor comme un arbre. Et là encore, rien n’était moins sûr.

- Qu’est-ce qui t’as decidé à m’aider ? Pas que ca m’embête, je suis très heureux de plus répandre mon sang partout, mais rien ne t’y obligeait.

Oui, il avait dit qu’il ne se préoccupait plus de cette histoire mais ça lui trottait dans la tête. Et c’était une question aussi bonne qu’une autre quand le but du jeu était seulement de rester éveillé suffisamment longtemps pour empêcher les futurs arrivants de découper la jeune femme en très petits morceaux. Du monde finirait forcément par venir quand il deviendrait évident qu’il était parti depuis beaucoup trop longtemps pour la tâche qu’il avait à effectuer. Il sentait néanmoins que la position allongée alliée aux soins de son ancienne adversaire aidaient quelque peu. Il avait mal partout et chaque inspiration était une torture mais ça irait. Il avait maintenant dans l’idée qu’il survivrait ce qui n’était pas forcément son pronostic une demie heure plus tôt. Il leva une main tremblante et pu essuyer le sang qui avait coulé dans son oreille droite. Les sons seraient déjà un peu moins étouffés. Malgré les soins de la jeune femme il n’osait pas faire de même de l’autre côté de peur d’aggraver le cas de son épaule. Il profita du mouvement vers le bas pour doucement toucher le bras de la jeune femme avant de laisser sa main retombre sur le sol, inerte.

- Au fait, comment t’appelles-tu ? Que je sois capable de mettre un nom sur l’un des adversaires les plus coriaces que j’ai croisé.

Il venait subitement de se rappeler qu’il ne connaissait absolument pas son identité. Il grimaçait un sourire, tentant de détendre un peu l’atmosphère. Peut-être ne seraient-ils jamais amis ni même alliés mais il serait tout de même mieux qu’il connaisse son prenom plutôt qu’il continue à l’appeller “gamine” si leurs chemins venaient à se croiser de nouveau.

La mention de son Maître avait eu l'effet escompté et la jeune femme se prodiguait maintenant des soins de premiers secours d'une précarité alarmante mais, au moins, elle ne se viderait pas de son sang sur son torse ce qui était déjà pas mal. Maintenant qu'elle l'avait sauvé il se sentait redevable. Bon, ok, si elle avait dû le soigner c'était parce qu'elle lui avait tapé dessus avant mais ce n'était pas le point que le ratel voulait retenir. Elle avait été un formidable adversaire et ferait donc une grande alliée. Et puis, au-delà de ces considérations, elle avait réussi à le toucher et il ne pouvait pas jeter ça aux orties. D'autant plus qu'il lui avait dit qu'il esserait de se renseigner sur ce qui était réellement advenu pour son ancien Maître et il comptait bien le faire. Il lui demanda d'ailleurs ce qui l'avait poussée à lui venir en aide. Après tout, quelques minutes auparavant ils étaient en train de lutter pour prendre la vie de l'autre. Ce retournement de situation était tellement inattendu qu'il avait besoin d'explications. La jeune femme ne l'ignora pas et lui répondit avec sobriété. Quelque chose soufflait au ratel que ce genre de réponse laconique était plus proche de ce qu'elle disait habituellement que les grands discours qu'elle lui avait sorti pendant leur combat. Il n'entendait que la moitié de ce qui se passait aussi ôta-t-il le sang qui obstruait l'une de ses oreilles avant d'attirer l'attention de son adversaire vers lui, lui demandant son prénom. Elle se contenta de le lui donner. Sans fioritures. Sofia. Il bougea légèrement la tête, ce qui équivalait à un hochement de tête. Il se déclina lui aussi son identité, même si elle ne le lui avait pas demandé. De toute manière, tous connaissaient son nom à Togi dorénavant alors il ne prenait aucun risque. D'ailleurs elle devait probablement être au courant.

- Enchanté, Wilson.

Lui aussi faisait dans le laconique mais il ne se sentait pas la force de faire beaucoup mieux. Sa tête tournait et des étoiles noires dansaient dans son regard, signe que l'évanouissement n'était pas loin. Cette fois-ci, il en était certain, ce n'était pas Sofia qui tentait de l'étrangler mais bien les effets de la perte de sang et des efforts excessifs engendrés par le combat. Alors qu'il fermait une nouvelle fois les yeux, priant cette fois-ci pour qu'on lui foute la paix bordel de nom d'un chien. Il avait juste envie de pouvoir dormir pendant trois jours histoire de récupérer. Le monde avait cependant l'air d'en avoir décidé autrement et des bruits de pas se firent entendre. Il souleva ses paupières lourdes, sentant le poids de la jeune femme quitter sa poitrine. Mais qu'est-ce qu'elle faisait ? Il tourna la tête et la vit qui rampait pour récupérer son katana. Elle était vraiment têtue. Les quatre hybrides qui approchaient étaient des Révolutionnaires. On avait donc fini par s'inquiéter de sa disparition. Il perdit de vue ce qui arrivait à Sofia lorsque Lance s'approcha de lui. L'hybride lupin gronda doucement entre ses dents avant de remarquer que les plaies étaient suturées. Il parla sans que Wilson ne parvienne vraiment à comprendre le sens de ses paroles. Il secoua la tête et le Révolutionnaire répéta, plus fort et plus lentement.

- Vous pouvez vous lever ?

Le ratel esquissa un signe de tête. Pas comme s'ils allaient pouvoir le porter de toute manière. Il entendit vaguement Sofia gronder. Ou était-ce l'un de ses gars ? Il ne savait pas. Il se releva avec l'aide de celui des quatre qui était resté à ses côtés. Bien, il pourrait marcher. Pas bien loin mais il pourrait marcher. C'est alors que ses yeux se posèrent sur la jeune femme aux cheveux blancs. Elle était dans une fâcheuse position, plaquée au sol et un couteau contre la gorge. La voix de Wilson claqua dans l'air. Fatiguée mais emprunte d'une autorité qui n'acceptait pas d'être contredite.

- Arrêtez, aidez-la à se remettre sur ses pieds.

La scène resta en suspend un moment alors que ses subordonnés le regardaient. Il aurait bien tempêté mais il n'en avait pas la force, portant déjà une bonne partie de son poids sur l'épaule de Lance qui, de toute évidence n'avait pas la carrure faite pour. Il était un bon soigneur même s'il n'avait pas eu de réelle formation en la matière. Il s'était attelé à cet apprentissage avec assiduité.

- Lance, occupe toi de ses plaies. Et que quelqu'un d'autre vienne m'aider à sa place.

Il était diminué, très diminué même, mais il restait leur chef et le couteau ne tarda pas à quitter la gorge de Sofia tandis qu'un hybride plus robuste venait prendre la place de Lance qui, après un regard en coin à Wilson, obtempéra. De toute évidence il le faisait de mauvaise grâce mais il ne serait pas celui qui désobéirait. Peut-être ne sauraient-ils jamais ce qui s'était passé ici mais il avait pu constater que des soins, bien que précaires, avaient été dispensés au ratel et ils n'étaient que deux ici. L'équation était vite faite. Seule la femme qui s'était relevée péniblement avait pu faire ça.

- Wilson, ça va prendre un peu de temps je vous conseille de vous asseoir, ajouta-t-il néanmoins avec acidité à l'encontre de son chef.

Ce dernier grogna plus qu'il n'acquiessa. Il ne se sentait pas de rester debout beaucoup plus longtemps de toute manière. Il s'affala plus qu'il ne s'assit contre un arbre. Les points noirs qui voilèrent son regard ne perdurèrent pas et il attendit patiemment que Lance puisse apporter les soins nécessaires à Sofia. Maintenant la grande question était de savoir ce qu'il allait faire d'elle. Il ne pouvait pas la ramener à la Grotte maintenant. A moins que... C'était une idée. Après elle ne voudrait certainement pas rester et il faudrait bien qu'ils la rapportent un jour en ville. Wilson repoussa des mèches devenues rouges qui étaient tombées devant ses yeux. Quelle journée de con. Sans déconner, il était parti relever des collets et se retrouvait maintenant à gérer une hybride dont il ne savait pas quoi faire. Il s'était installé non loin du petit atroupement. Hors de question qu'il en lâche un seul des yeux. Normalement ils étaient tous suffisamment futé pour ne pas abattre la jeune femme alors qu'il avait spécifié qu'on ne devait rien lui faire mais il savait qu'une réaction violente de la part de cette dernière n'était pas à exclure. Il s'adressa d'ailleurs à elle ensuite.

- Si tu pouvais ne pas bouger pendant qu'on t'administre les premiers soins ce serait bien. Tu as ma parole que personne ne tentera de te droguer ou de t'abattre. Une fois que tes plaies auront été pansées on avisera. Parce que je me doute que venir avec nous ne t'intéresse pas plus que ça, tu dois retourner en Ville. Mais pour ça il te faudra peut-être un accompagnateur histoire que tu ne tournes pas de l'oeil et tombe dans un fossé.

Il parlait un peu pour ne rien dire mais espérait qu'elle croirait en la sincérité de ses paroles. Il n'avait pas donné le moindre prénom. Il se doutait que Sofia tenait à son anonymat et il ne balancerait pas l'identité de Lance comme ça. Chacun des quatre Révolutionnaires qui étaient venus le chercher étaient maintenant plus ou moins en danger. Elle avait vu leurs visages et elle pourrait toujours vendre ces informations au plus offrant. Wilson pensait qu'elle n'en ferait rien aussi n'en fit-il pas mention. Ils attendait tous, plus ou moins impatiemment, que le lupin ait terminé son office.