Le calme après la tempête [Ezekiel]

Il se montrait sec, peut-être trop, mais son travail ne souffrait aucune exception. Il se devait d'agir selon ses principes, et plus encore selon la loi à laquelle il tenait tant. L'attitude d'Ezekiel, loin de l'agacer, lui prouvait seulement qu'il avait fait le bon choix en entrant dans l'animalerie, plus tôt dans la journée. Le chien agissait de son propre chef, capable de faire des choix – judicieux, qui plus est – et Chandler ne pouvait que se féliciter d'avoir choisi le bon partenaire. Les vendeuses ne savaient plus ou se mettre, craignant que l'attitude brusque du rabatteur et son ton glacial ne mettent un terme aux affaires de la boutique. Celle-ci pourrait tout-à-fait fermer, le bouche à oreille capable de détruire la réputation d'un établissement en quelques jours, voire quelques semaines. La culpabilité ne l’étoufferait certes pas, il ne faisait que ce pourquoi il était payé, après tout, mais il éprouvait néanmoins de la compassion pour ces jeunes femmes qui n'avaient rien demandé à personne.

D'un pas rapide, il rejoignit l'homme coupable de violence envers la pauvre hybride malmenée, et lui passa les menottes sous le regard scrutateur des clients de la boutique. Il n'en menait pas large, comprenant que ses actions publiques risquaient de lui attirer des ennuis, mais il était bien trop tard pour les regrets, ni Chandler ni l'homme ne pouvaient plus faire marche arrière. Il y avait bien trop de témoins, et le rabatteur n'en n'éprouvait pas un seul instant le désir ; ce genre d'ordures le répugnait au plus haut point, c'était de leur faute, en partie, si l'émergence d'une faction rebelle avait été possible. Comment accepter de subir de tels sévices sans ne rien dire ? La loi commençait à changer, à offrir aux hybrides plus de possibilités pour se défendre, plus de droits, et le brun comptait bien en user pour agir en toute âme et conscience. Il prit le chemin de la sortie, accompagné d'Ezekiel et de son captif, ses yeux teintés de colère se tournant vers la direction ; elle n'apparaissait qu'à cet instant ? Il inspira profondément, agacé, avant de finalement hocher la tête.

─ La justice ne fait aucune exception, madame. Toutefois, je ne vais pas faire plus d'esclandre, Ezekiel va prendre nos vêtements et si jamais je remets un jour un pied ici et que, de près ou de loin, je vois une situation similaire à celle à laquelle nous venons d'assister, se reproduire, je vous affirme que ce sera le dernier jour que cette boutique connaîtra. Bonne soirée.

Son ton n'avait rien de cordial, mais il mettait un minimum les formes avant de s'éclipser, conduisant l'homme irresponsable au poste des rabatteurs. Qu'il subisse lui-même les conséquences de son forfait, il ne lui souhaitait aucunement d'échapper aux mailles du filet, et il comptait ne pas le laisser s'en tirer aussi facilement. Le chemin lui parut durer une éternité alors que leurs six pieds résonnaient contre les pavés de la ville, certaines têtes se tournaient vers le trio insolite mais Chandler n'y prêtait pas la moindre attention, entièrement focalisé sur sa route. Ezekiel le suivait, il entendait ses pas bien qu'il ne le voyait pas, et arrivé devant le centre, il se tourna vers l'hybride pour lui indiquer qu'il devait attendre à la sortie. Le chien n'avait reçu aucune formation, ni passé les tests – qu'il réussirait probablement après un entraînement rigoureux avec le brun – et devait pour l'instant patienter devant les portes, alors que l'humain terminait de régler les formalités de l'arrestation du pervers. Il ressortit finalement au bout d'une demie heure, l'air frais le percutant de plein fouet. Ezekiel demeurait au même endroit et l'accueillit de sa fameuse étreinte, celle à laquelle le rabatteur n'était pas habitué. Il se laissa faire tout en tapotant maladroitement son épaule, avant de se tourner vers lui.

─ Allons-y, il est plus que temps de rentrer. Nous discuterons une fois que nous serons au chaud. Suis-moi et essaie de mémoriser le chemin, les routes qu'on va prendre, ce qui nous entoure. Je préférerais qu'on ne m'appelle pas chaque fois que tu sortiras parce que tu te seras perdu, mais ne t'en fais pas, à force de sillonner la ville, on finit par en connaître ses moindres recoins.

Chandler prit les devint, et cette fois, il ne mirent qu'une dizaine de minutes pour parvenir à l'appartement du brun, en plein centre de la ville. Il tapa le digicode, 3256, qu'il indiqua à l'hybride, avant de prendre les escaliers qui se trouvaient sur la droite. Aucun ascenseur ne se trouvait dans l'immeuble, il ne faisait que quatre étages, après tout, et cela offrit au brun quelques secondes supplémentaires pour se remettre les idées en place. Il ne comptait que visiter l'animalerie, peu convaincu de trouver un partenaire adéquat pour son travail, mais finalement il avait trouvé l'hybride idéal, capable de prendre des initiatives et d'agir avec la même morale que lui-même s'imposait. Les marches défilèrent sous ses chaussures et bientôt, Chandler parvint face à la porte de son logement. Il sortit ses clefs, en inséra une dans la serrure et l'ouvrit, un petit couloir apparaissant devant eux.

─ Il vaut mieux que tu enlèves tes chaussures, j'ai nettoyé hier, mais bon, je ne suis pas à cheval là-dessus. Ce n'est pas bien grand, mais pour deux, ça devrait parfaitement convenir.

Il fit quelques pas et arriva devant un salon spacieux, dans lequel se trouvait un canapé en cuir, une table basse et une télé écran plasma. Une bibliothèque se trouvait fixée au mur derrière le canapé marron, et Chandler tendit le bras vers une porte vitrée.

─ Là, nous sommes dans le salon. Il est plutôt pas mal, je dois dire, et on a accès à un grand nombre de chaînes – j'évite les téléréalités et ce genre de trucs, mais bon, tu peux regarder ce que tu veux. Le salon donne sur un balcon, il n'est pas très grand je l'admets, mais quand il fait beau, c'est plaisant de s'y relaxer, d'y lire un livre ou simplement de regarder la ville. Il ne faut pas oublier de le refermer, la nuit.

Il ouvrit une porte qui se trouvait entre le canapé et la baie vitrée, et dévoila une chambre, la sienne.

─ Ici, c'est ma chambre. Je préférerais que tu toques, avant d'entrer. Elle ne t'est pas interdite mais... en fait, je ne vois pas réellement ce que tu voudrais y faire, mais tu peux y aller si tu n'y mets pas le foutoir.

Il traversa le salon et dévoila un autre couloir, qui donnait cette fois-ci sur trois portes.

─ La première porte, à droite, c'est la cuisine. Si tu as faim, même si ce n'est pas l'heure du repas, fouille et sers-toi. Le seconde porte à droite, c'est la salle-de-bain. Il n'y a pas de douche, juste une baignoire, mais on peut faire glisser la vitre et accrocher le pommeau de douche pour la transformer en... en douche. Et l'unique porte à gauche, ça sera ta chambre. C'était une pièce dans laquelle je comptais faire dormir les invités, il y a déjà un lit, et on la remplira au fur et à mesure. Mais maintenant...

Chandler s'avança vers le canapé et s'y assit, faisant un signe de la main à Ezekiel pour qu'il l'y rejoigne.

─ Concernant ce qui s'est passé tout à l'heure... Sache que tu as fait ce qu'il fallait. Tu n'es pas encore hybride rabatteur, mais tu as eu l'instinct et l'initiative d'agir, et tu n'as pas désobéi à la loi. C'est à peu près la seule chose que je te demanderais de ne jamais faire : si tu vois quelque chose qui ne devrait pas se produire, et que tu interviens de la mauvaise manière, il y a de grande chance pour que le coupable ne soit pas poursuivi, et pour que les ennuis te retombent dessus, et sur moi, également. J'espère que tu n'es pas trop chamboulé... Ça fait beaucoup pour une première journée, je m'en doute. Moi-même, je ne me sens pas totalement redescendu de l'état d'énervement dans lequel j'étais... Si tu veux, on commandera des vêtements sur internet la prochaine fois, ou nous irons dans une autre boutique.

Il passa brièvement son pouce sur la joue du jeune homme pour le rassurer, il était plutôt maladroit dans ses contacts, mais n'avait plus l'habitude de la proximité d'un autre être. Hybride ou humain.

─ Je ne suis pas en colère, sache-le. Tu as bien fait. Mais sache aussi que, parfois, nous n'aurons pas toujours gain de cause, certains ont le bras long, dans cette ville, comme partout d'ailleurs. Et nous sommes des rabatteurs, pas des justiciers, ne l'oublie pas.