Tu te refais une santé et tu repars fissa ! [PV Bastet]

Se foutre de sa gueule ? Un peu. Peut-être. Et alors ? Sans doute que dans le meilleur des mondes le chat aurait dû se prosterner devant son sauveur et lui baiser les pieds mais il croyait se souvenir que c'était un peu lui - et Pinky Bear - qui l'avait tiré d'une situation délicate pour commencer. Alors bon, c'était quand même un peu sa faute aussi s'il se retrouvait dans cet état. De toute façon, le sarcasme était sa façon de vivre. Même sa maitresse n'était pas épargnée alors un quasi inconnu ? Aucune chance qu'il se retienne. Qui plus est, Alguinou ne faisait pas mine de répondre à ses commentaires et pour quelqu'un d'aussi joueur que Bastet, c'était comme une invitation à poursuivre le harcélement jusqu'à le faire réagir. Toc. Toc. Toc. Toc. Toc. Autant de vannes balancées comme autant de petits graviers contre une fenêtre par des garnements, morts de rire et effrayés à la fois à l'idée que quelqu'un apparaisse derrière le carreau et leur hurle dessus.

Aussi ne répondit-il à sa réplique agressive que par un simple : "On peut toujours la prendre à deux, ça économisera l'eau chaude..." presque courtois. Ca allait peut-être le faire monter dans les tours mais Bastet se souvenait de sa tête désespérée à l'idée d'enfiler une robe. Autant taper sur un point potentiellement sensible. C'était plus marrant.

Mais bon, douche. Fallait y aller quand même - et l'idée de faire lambiner encore un peu L'Oréal-Man l'aidait à trouver l'énergie nécessaire à se relever. Avec difficulté il se releva du canapé - était-ce lui ou le meuble lui sussurrait à l'oreille des mots doux ? Suffit, vil tentateur ! - et partit en direction de la salle de bain. Les vêtements prêtés restèrent sur place. Il avait besoin de ses mains pour prendre appui contre le mur. Cahin-caha, il passa le seuil de la salle de bain et en referma la porte derrière lui à l'exact moment où une cymbale tintait, renforçant l'effet dramatique.

Petite salle de bain mais fonctionnelle. Avisant l'absence de chaise ou de tabouret, il prit appui du bout des fesses sur le lavabo qui grinça mais ne céda pas sous le poids du neko. Enlever ces oripeaux fut un soulagement. La jupe tomba à ses pieds, puis le haut dans le drelindrelin des petites perles cousues dessus sur le carrelage. Et enfin, le collier qu'il envoya valser avec soulagement. Le témoin fut l'unique témoin de la nudité de Bastet, ce grand gaillard si chiant et désinvolte au dos couvert de cicatrices plus ou moins importantes.

Presque guilleret, il boita jusqu'à la douche. Un court instant, il hésita à hurler quelque chose à son hôte, un truc du genre "Hey, tu viens me gratter le dos chéri ?" mais l'idée lui en passa vite. Il tourna le robinet : l'eau lui dégoulina sur le corps, rinçant son corps de la boue qui le salissait et d'une partie de la fatigue qui l'envahissait. La douleur ne partit pas, elle, hélas, mais il ferait avec. Sifflotant gaiement en rythme avec la musique accoustique qui se déversait jusque dans la salle de bain, il entreprit de se mouiller, changea de jambe d'appui et... Ho, tiens, une savonnette.

"Putain de merde !" beugla-t-il en chutant.

Non mais ça devient une habitude d'embrasser le sol ! fut son ultime pensée avant de finir en position horizontale.

Journée de meeeeeerde !

Si Bastet ne répondit pas de suite, c'était parce qu'il venait de se faire mal et que s'il avait appris une chose au sujet de la douleur, c'était d'éviter de la beugler de façon inconsidérée. On ne savait jamais qui risquait de l'entendre, et encore moins si cette personne déciderait de l'aider ou de venir tester sa faculté à monter encore plus haut dans les aigus. Donc d'abord douiller, ensuite estimer et après potentiellement beugler : il ne fallait pas se tromper dans l'ordre des actions.

Et donc primo : douiller. S'il ne s'était pas profondément mordu la lèvre en tombant au sol, il aurait sans doute hurlé. A la douleur de sa jambe venait s'ajouter celle du dos, une puissante décharge électrique qui lui remontait du bas de la colonne jusqu'à la nuque. Mais bon, au moins, il n'était pas paralysé ; il sentait parfaitement le carrelage froid et en cours d'inondation sous son corps et il avait par réflexe roulé sur le coté dès la fin de sa magnifique glissade sur savonnette mouillée avec tentative de salto arrière. La douleur, ça partait au bout d'un moment au moins. Et puis elle était moins importante qu'à la chute même, non ? Si ? Allez, faut y croire ! Faut se dire que ça ira mieux demain - ou se résoudre à se tirer une balle de suite.

Secondo estimer. Estimer quoi ? La douleur. Le public. Les conséquences. Etape qui pour une fois était relativement simple à traiter. Douleur forte mais pas dangereuse. Le proprio était du genre bon samaritain et ne présentait aucune tendance à maltraiter ses visiteurs - et puis, vu l'immeuble pourri dans lequel il créchait, Bastet était certain qu'en beuglant un peu fort tous les voisins l'entendraient. Après, quant à savoir s'ils feraient quelque chose pour l'aider ou se contenteraient d'aller planquer leur came dans le tiroir à chaussettes juste au cas, il ne savait pas trop mais bon voilà quoi. Et les conséquences ? Bah... Que l'immeuble était peut-être pas si pourri que ça, vu qu'il n'avait pas fini chez le voisin du dessous. Il aurait pas cru, tiens. Et qu'il n'y avait que peu de risques à demander de l'aide de son copain de fortune hybride.

Donc tertio ?

"Putain de bordel de merde !"

Il venait du coeur ce cri là - et même de plus bas que ça, vu la douleur qu'on y devinait. Y'avait un air de dos qu'est pas beau, une rengaine de jarret tout cassé et une note de couilles qui font ouille. Il tenta de se redresser mais son dos lui fit tout de suite comprendre que hey, mec, je viens de poser un RTT là alors démerde toi sans moi ! Okay. Tout seul, c'était mal barré. Bastet cilla plusieurs fois le temps que l'atroce impression d'électricité parcourant son corps s'atténue puis gueula un peu plus fort pour couvrir le bruit d'eau que faisait la douche toujours active.

"Viens m'aider !"

Le ton était toujours bourru, voire plus qu'avant. C'est que le chat n'aimait pas demander d'aide - ou plutôt, n'aimait pas avoir besoin d'aide. Aucun souci pour se faire passer pour souffrant tant qu'il ne l'était pas, mais devoir vraiment compter sur quelqu'un, il n'aimait pas. Pas du tout. On ne savait jamais vraiment comment les gens allaient réagir, on ne pouvait qu'estimer. La clef de la survie, c'était de ne jamais faire que ce dont on connaissait à coup sûr l'issue. La chance était une traitresse qui n'attendait que l'occasion de vous poignarder dans le dos.

La porte s'ouvrit. Bastet n'essaya absolument pas de se cacher. Pour quoi faire ? Sa pudeur, cela faisait longtemps qu'il avait appris à s'en débarasser. Quant à l'état de son corps...Il était  (généralement) fonctionnel et relativement agréable à la vue. Un hybride ne pouvait pas en espérer plus. Kisui étant un hybride, ce n'est pas quelques marques de mauvais traitement qui allaient le surprendre ou le gêner.

"Attaque de savonnette" grommela-t-il avant de hausser les épaules, las, goûtant même dans cette situation le caractère totalement absurde de ce qui venait de se passer. "Tu m'aides à me relever ?"

Mais c'est qu'il commençait à dévoiler son sens de l'humour, l'homme de boue ! Il était temps, cela ne faisait qu'une soirée que Bastet lui balançait des vannes à tort et à travers ! Loin de s'offusquer, le chat grimaça un sourire. Embêter quelqu'un qui encaissait était marrant, pourrir la vie de quelqu'un qui répondait un challenge. Et les félins ont le goût du défi - la saveur de la victoire n'en est que meilleure.

- On m'avait pourtant dit de ne jamais ramasser la savonnette sous la douche... balança-t-il presque penaud, lui accordant par cette maigre réplique un point d'avance dans la joute verbale.

Avec difficulté, il attrapa la main que le Jokey - un mix entre le joker et le jockey, un nom qui convenait parfaitement à cette grande brindille qui souriait largement ! - lui tendait. Il dut s'y reprendre à plus d'une fois pour réussir à se relever et n'y parvint qu'avec l'aide du lavabo. Le sourire qu'il lui décocha une fois debout était à la fois plein de douleur et d'amusement. "Un jour mon Prince viendraaaaaa ~..." fredonna-t-il en papillonnant des paupières telle une fragile princesse en détresse avant de se retourner dans un gloussement vers la douche.

Un pied après l'autre, doucement. Il se sentait comme un petit vieux là. Restait plus qu'à espérer que la savonnette n'ait pas de petites soeur... Il prit appui contre la cabine de douche de l'épaule et tourna la tête sur le coté, le plus loin possible, de façon à pouvoir distinguer le proprio à la limite de son champ de vision. "Reste dans le coin." Il ferma la porte vitrée derrière lui, le grincement du panneau de plexiglas lui donnant l'excuse rêvée pour ne pas ajouter un petit 's'il te plait" à sa demande. Quoi que... demande ? Non, le chat n'était certainement pas si mal en point, pas vrai ? Trop indépendant pour ça. Trop fier.

"Je te donnerai peut-être une autre occasion de contempler mon corps de rêve, grand fou ~" Il tourna le robinet d'eau chaude. Le ruissellement de la douche masquait-il totalement son gloussement moqueur ? Probablement pas, et c'était tant mieux !

Si Bastet n'arriva pas à comprendre le sens des marmonnements du grand vert avec deux chaussettes bleues, sa retraite précipitée ne lui échappa pas, elle. Victoire par défaut, donc ! Il savait désormais exactement où frapper pour mettre mal à l'aise son hôte :  l'intimité - et plus si affinités. Il saurait s'en souvenir, le matou. Un grand sourire aux lèvres, il profita de la fin de sa douche. L'eau qui coulait sur lui, au départ teintée d'ocre, se fit de plus en plus limpide - et savonneuse lorsqu'il découvrit que le shampoing à sa disposition contenait des aromes d'olivier. L'olivier ! Son pêché mignon, avec la valériane ! Que du bonheur ! Un témoin non voyant aurait pu se poser de sérieuses questions sur son activité sous la douche à en juger d'après ses reniflements frénétiques mais Bastet n'en avait que faire honnêtement. Tant qu'on le laisser se malaxer le crâne avec la divine substance, on pouvait bien l'accuser de tous les maux de la terre luxure comprise, il s'en fichait !

C'est le rafraichissement de l'eau qui le convainquit à regret d'arrêter de se frotter. Vu la baraque, le ballon d'eau chaude était probablement presque vide. S'il ne se remplissait pas vite, Wakaman était bon pour une douche froide - de quoi calmer ses ardeurs, tout était donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Un coup de brosse, une serviette sèche et c'est un neko tout propre - et tout nu - qui débarqua dans le salon. Les vêtements sur la table étaient usés mais séants : il les enfila sur place, s'aidant de dossier d'une chaise pour le pantalon.

"Je mets où mes vêtements sales ?" demanda-t-il à voix haute au cuistot invisible en les enlevant du canapé. De la boue, de la sueur, mais pas d'accrocs nota t il en les repliant grossièrement. Il songea un instant à les laver à la main mais, ne voyant pas où les faire sécher ensuite, il décida de n'en rien faire. Mieux valait suivre les ordres d'El Proprio. El proprio est grand, El proprio est puissant, gloire à El Proprio !

Oh, et puis El Proprio sait faire à manger aussi ! Que du bon ! Dans l'encadrement de la porte, Bastet laissa son regard aller de l'homme de boue aux légumes en partie découpés sur la table. Des légumes ? Pas son plat favori mais en tant que chat, Bastet était partisan de manger tout ce qui était chaud et ne se débattait pas sous les coups de fourchette. C'est qu'il en avait mangé, des plats froids, dans sa vie !

"La douche de monsieur est livre, si monsieur veut bien s'en donner la peine" lança-t-il au cuistot avec un semblant de réverence, aussi incliné que ce que lui permettait de faire sa jambe. "Je m'occupe du reste du repas. Carottes et courgettes ? Autre chose à faire ?" Cette fois-ci, la question était sérieuse. On ne déconnait pas avec la nourriture !

Oh, il mettait en doute sa virilité ? Il en faudrait bien plus que ça pour y arriver, Mister Kisui. Porter une robe était loin d'être quelque chose de dégradant à ses yeux... Le jeune hybride aurait-il quelque chose à compenser pour revenir avec tant d'assiduité au surnom de "princesse" ? L'idée était marrante en tout cas. Négligeant de répondre, Bastet se contenta de se décaler légérement, laissant juste assez de place au cuistot pour sortir et passer pas loin de lui. L'envie de lui mettre une main aux fesses juste pour le faire glapir le tenta briévement...

Mais il préféra se détourner vers des choses plus importantes : la nourriture. Carottes et courgettes, vermicelles et bouillon ? Très bien, pas compliqué à faire. Il se dirigea néanmoins vers les placards, explorant sommairement leur contenu à la recherche de possibles ingrédients supplémentaires. Ce fut donc la tête dans les conserves qu'il entendit la porte de la salle de bain claquer et se refermer, ce qui le fit sourire. Oh, c'est que Vertmonchou avait peur que le grand méchant chat vienne le retrouver sous la douche ? Petite nature, va ! Comment un hybride pouvait être aussi pudique ? Il ne le comprenait pas vraiment. Les humains n'étaient pas du genre délicat en général avec leurs esclaves...

Peu de choses à ajouter au final. Il se résigna à suivre la recette donnée par Kisui, n'y ajoutant que de la sauce soja et quelques herbes odorantes ce qui lui prit, quoi, trois minutes ? Profitant du temps de cuisson, il embraya sur une salade de tomates qui se perdraient sinon. Une minute de plus. Mettre la table, pas beaucoup plus. La douche coulait toujours. S'occuper les mains, donc. Bastet sentait que s'il se rasseyait, il aurait du mal à se relever. Du regard, il fouilla la pièce, cherchant quoi faire. L'ordre régnait, bien que ce ne soit pas parfait. Distraitement, il se mit à remettre à leur place exacte quelques objets mal placés, jeter les épluchures, remettre les chaises à leur place... Etait-ce du malaise qui montait en lui ? Probablement pas. Tout le monde sait que les chats ne sont que des égoistes feignasses. Bastet ne devait rien à ce type ; sa fébrilité ne pouvait être due qu'à l'action des anti-douleurs...

Le cri de Jokey vint à point nommer rompre le tour introspectif de ses pensées. "C'est pour calmer tes ardeurs !" lui répliqua-t-il à même volume, du tac o tac. Les voisins les entendaient ils se disputer comme un vieux couple ? L'idée le fit marrer.  Fallait assurer le spectacle alors. Sifflotant, il se décida à faire la vaisselle, réduisant encore un peu plus le volume d'eau chaude dont disposait le ballon d'eau chaude. Arriverait-il à faire crier Kisui avant la fin de la douche ? Il essaierait en tout cas !

La douche et la plonge se finirent presque en même temps. Après s'être essuyé les mains sur un chiffon, le neko entreprit de d'éteindre le feu et de disposer sur la table le plat. Ca sentait diablement bon !

- Madame est servie, lança-t-il à Alguiman lorsqu'il rentra dans la pièce. De dos par rapport à la porte de prime abord, il se retourna pour lui jeter un coup d'oeil. Son regard s'éclaira d'une nuance d'approbation. Sans être un tombeur - de toute façon, la seule personne qu'il avait fait chuter à sa connaissance c'était Bastet - Kisui était relativement beau garçon... si on aimait les brindilles maussades. Ses cheveux imbibés d'eau bouclaient légérement sur son cou. Finalement, c'était lui qui faisait la princesse...

- T'as presque l'air humain, lui fit-il en prenant place devant son assiette. J'te sers ?

Le félin ne se fit pas prier pour remplir sa gamelle, lui. Depuis qu'il vivait avec Estelle, la majorité de ses repas se composaient d'en cas grignotés à la va vite hors de vue. La couturière avait un don pour rater les recettes de cuisine - son flan de légumes avait dû être combattu par le feu et quant à la soupe, disons que les yeux du bouillon made by Estelle n'étaient pas métaphoriques. Si encore elle avait accepté que Bastet cuisine à sa place, mais non ! Elle était bien trop fière pour admettre sa défaite ! Plutôt crever que d'avouer son incompétence - ce qui risquait d'arriver très vite si elle ne s'améliorait pas...

La première assiette fut silencieuse, uniquement rythmée par le cliquetis des couverts. Manger chaud, quel bonheur ! Mais vint l'instant où l'estomac fut en partie comblé et le corps réchauffé, l'instant où Bastet recommença à parler à tort et à travers...

- Sinon c'est mignon chez toi, princesse. Comment t'es arrivé là ?

Tiens, un sujet qui fâche ? Encore un ? En tout cas, infiniment plus malaisant que le fait de le voir à poil. Si Bastet était fier de quelque chose, c'était de sa facilité à lire le langage corporel de son interlocuteur. L'idée de mettre une robe l'avait paniqué ; le voir nu gêné ; mais cette question... Elle l'avait totalement bloqué. Ce n'était pas une simple réaction mais un geste volontaire. Kisui s'était renfermé, durci. En face de lui se dressait un mur. Etait-ce pour empêcher le neko de capturer un aperçu de ce qui se tramait derrière, ou au contraire pour empêcher quelque chose de s'en évader ? Peut-être un peu de des deux.

Le neko se contenta de mollement hausser une épaule, pas franchement vexé, tout en avalant une gorgée de soupe. Il y reviendrait tôt ou tard, il le savait. L'idée d'avoir un moyen de se faire passer pour humain et d'échapper à son statut d'hybride était bien trop tentante pour qu'il s'arrête au premier signe de rejet. Mais ce serait pour plus tard, peut-être de façon plus détournée. L'heure était pour l'instant au remplissage d'estomac.

-Si tu ne la manges pas, je la termine, se borna-t-il a signaler en pointant de sa cuillère sa bolée de bouillon encore intacte. Façon délicate de clore le sujet ? Peut-être. Peut-être pas. Allez savoir avec un chat.

Cling. Du bord de la cuillère, il racla le fond de son assiette, y repêchant les derniers morceaux de nouilles et les enfourna. Plus que le bouillon qu'il savoura à pleine gorgée, délaissant le couvert pour s'attaquer au bol lui même. Et glou et glou et glou... mais sans aucun bruit. On l'avait bien dressé à être silencieux, le chaton. Quand il voyait certains mômes mal élevés, Bastet se disait que son dressage n'avait pas eu que du mauvais.

Bol reposé, et toujours ce silence morose. Sourcil levé, il jeta un oeil à l'homme-salade. Pourtant, il aurait juré qu'il était un causeur, celui là. Est-ce que le silence le gênait ? Parce que Bastet, non. Mais il m'embêtait par contre. Maintenant que son ventre ne criait plus famine et que la douleur diminuait, il se sentait le besoin de parler.

Alors d'une voix forte, limite avinée, celle qu'il appelait "Tonton Bébert bourré à un repas de mariage", il commença de la façon la plus vulgaire possible : "Alors c'est un hybride-chat, un hybride-chien et un hybride cochon d'Inde qui rentre dans un bar..."

Bah quoi ? Ne jamais négliger l'effet de surprise !

Juste un sourire comme réaction ? Marrant ça... Bastet haussa les épaules, amusé.

- J'en ai aucune idée. Je balançais un truc au hasard en pensant que tu allais m'envoyer me faire voir. Mais on va improviser... Alors, l'hybride-chat dit au barman...

Et hop, on renchaine sur la chute d'une autre blague ! Facile à faire. La cervelle du chat retenait aussi facilement les plaisanteries que One Direction les fantasmes de midinettes. C'est qu'il avait vite compris que pour s'en sortir dans la vie, fallait de la chance ou du bagout, le chat... La chance n'étant pas éternelle, il avait veillé à bosser le bagout. Une vanne bien placée pouvait parfois sauver une vie - et une vérité mal à propos la coûter.

- ... au moins, y'aura plus à le siffler ! finit-il, sa voix montant dans les aigus pour figurer celle du cochon d'Inde. Un hochement de tête, un signe de la main extravagant : Bastet l'artiste, le cul calé sursa chaise, tira sa révérence, au propre comme au figuré, malgré le manque de réaction du public. Est-ce qu'il avait gagné sa croute par cette plaisanterie bouffonne ? Probablement pas. Ca ne l'empêcha pas d'aller prélever l'ultime louche au fond de la casserole et de la savourer. Y'avait qu'à voir ça comme un pourboire.

Mais quand Kisui se leva, lui demandant quelle musique il affectionnait, il mit une seconde à comprendre. C'est qu'on ne lui avait pas posé la question depuis.. depuis... lui avait-on déjà posé la question, en fait ?. Les hybrides adoptés étaient traités comme des biens, parfois comme des animaux domestiques et aux animaux domestiques on ne leur demande pas leur avis. On les vaccine, on les nourrit, on les lave, on change leur litière, on leur accorde une gratouille mais on ne leur demande pas quelle ambiance sonore ils préfèrent. Même Estelle, toute libérale qu'elle soit à ce sujet, présumait juste qu'il appréciait la même musique qu'elle. Ce n'était pas bien grave mais... Bastet se retrouvait à cours de mots. Est-ce qu'il avait envie d'écouter une musique en particulier ? Il n'en connaissait pas. Et est-ce qu'il aimait ça, la musique, seulement ? Ce genre de question, cela faisait longtemps qu'il ne se les posait plus. Ca ne valait pas grand chose de bon pour un hybride, de rêver à ce qu'il n'aurait jamais.

Aussi se contenta-t-il de secouer doucement la tête, un air perplexe sur le visage.

"Pas vraiment. Pas l'habitude. Je..."

Il s'interrompit en voyant la tête de Kisui. Vaguement mal à l'aise sans comprendre pourquoi, il chercha à ajouter quelque chose. Sois marrant, Bastet. Incisif. Méchant. C'est comme ça qu'il t'attend.

"Sors nous tes classiques Disney, princesse" fit-il, se réfugiant dans son cynisme comme Iron Man dans sa grosse armure.

Alguinator partit, il se pencha, empila les assiettes et couverts sur la table, mais se résigna à les laisser là lorsqu'il sentit ses jambes flageoler comme de la gelée en tentant de se redresser. Les anti-douleurs, bien sûr. Voilà la source de ce malaise qui le turlupinait par moments. Tout s'expliquait. Préférant profiter de sa torpeur temporaire, le chat se renfonça dans sa chaise, laissant le soin au proprio de débarrasser et faire la vaisselle. Après tout, il avait mis la table et préparé à manger, ça comptait, non ? Chacun son tour !

De sa place il était dos à l'évier. Il se laissa pendre la tête à l'envers, observant mollement Tête d'Algue faire la vaisselle. Pieds au plafond, tête au sol... Marrant de voir cette grande bringue se vouter pour atteindre l'évier, trop bas pour sa taille. Lui manquait plus qu'un tablier pour imiter la parfaite Mamie Gateau. Et une petite paire de lunette. Des verres ronds. Un dentier. Les pensées défilaient, plus débiles les unes que les autres.

"Grand-mère, comme tu as de grands gants..." fit-il vaguement, emportées par le train de ses pensées.

Toujours tête à l'envers, Bastet lui lança un coup d'oeil perplexe. Il n'était pas exactement au mieux de sa forme et ces questions... De quoi avait-il envie ? Qu'est-ce qu'il voulait ? C'était extrêmement bizarre d'avoir le choix comme ça. C'était... perturbant. D'ordinaire, le neko se contentait de s'opposer - ou de suivre, si vraiment y'avait besoin - les volontés de son maitre. On ne lui demandait pas ce qu'il voulait en lui laissant un choix total. Qu'est ce qu'il y connaissait, lui, au final ? Il n'était qu'un hybride. Il pouvait apprécier quelque chose - tiens, par exemple, la musique là tout de suite il la trouvait sympa - mais pas dire ce que c'était sans l'entendre.

- T'es vraiment bizarre... lâcha-t-il. Ce n'était pas une moquerie, pas une insulte. Juste une constatation. Si Kisui était un hybride lui aussi devrait être perdu, non ? Quel étrange individu, d'une pudeur qu'il n'aurait pas cru possible à cet âge et d'une autonomie de choix toute humaine.

Son hôte dut prendre ça pour une réponse puisqu'il ne lui reposa pas la question, préférant abandonner sa vaisselle fraichement lavée pour fouiller dans ses bouteilles. Le bruit du verre le fit redresser la tête par un réflexe acquis. Il avait eu maitre une fois qui essayait de jouer à chasse-taupe avec ses hybrides quand il avait fini sa bouteille. A l'époque Bastet courait vite mais plus maintenant. Il écarquilla les yeux devant toutes ces bouteilles et regarda en coin Kisui. "Tout ça ?" Les alcooliques le mettaient assez mal à l'aise, le chat. Un verre ça va, trois ou quatre bouteille bonjour les dégats.

La réponse le rassura un peu. Il se détendit, ne se rendant compte qu'à ce moment là qu'il s'était raidi sur sa chaise. L'idée d'être aussi facilement déchiffrable ne lui plaisait pas. Avec difficulté, il se leva pour aller plutôt s'affaler sur le canapé. Plus confortable. "Sers-moi la même chose qu'à toi" répondit-il à la question muette du barman d'un soir. Il ne buvait pas en général mais ça ne pouvait pas lui faire de mal ce soir. Avec un peu de chance ça anesthésierait au moins la douleur résiduelle.

Il flaira son gobelet, essayant d'identifier ce qui était dedans. En pure perte. Ca, il ne connaissait pas. Mais si Kisui en buvait, ça ne pouvait pas être si fort que ça, non ? Allez Bastet, sois un chat ! Cul sec !

Gloups.

Oh putain.

"Comment.... tu peux... boire ça ?" hoqueta-t-il entre deux quintes de toux. Sa gorge était en feu, son estomac aussi. Le bon coté, c'est que pendant qu'il crachait ses poumons il ne faisait plus attention à sa jambe au moins !

Un verre d'eau plus tard, ça allait déjà mieux. Affalé contre le dossier du canapé, jambes croisés, yeux mi-clos,Il observa l'homme siroter tranquillement son digestif. L'alcool commençait à l'emplir d'une douce chaleur mais faudrait qu'il lui demande le nom. Ca, c'était une chose qu'il n'avait aucune envie de regoûter à l'avenir.

D'ailleurs en parlant d'envie... "Pourquoi t'es aussi sympa avec moi ?" lui balança-t-il, rompant le silence qui régnait entre eux depuis que Bastet l'avait assuré ne pas avoir l'intention de mourir de toux ce soir-là.

Mais oui Bastet pouvait être sérieux. Rarement, mais quand même. Il avait l'habitude de rester en surface et de se concentrer sur l'humour. S'exposer sous cette facette aux autres lui permettait de garder en sécurité les quelques parcelles de lui qu'il considérait comme siennes et non pas du dressage : les souvenirs d'enfance, les inquiétudes quant à son avenir, sa version défaitiste de ce monde pourri. Et puis, fallait admettre que c'était marrant de vanner à tour de bras et de regarder les autres bafouiller pour un bon mot !

Mais voilà, il venait de vivre une soirée mouvementée, il avait mal, il était crevée, il était beurré comme une tartine de petit déj quand on est un peu rat niveau matière grasse. Aucune envie de jouer les clowns en plus : trop fatigant et il ne fallait visiblement pas compter sur Kisui pour surenchérir et mener la conversation. L'autre ne se décidait pas à rompre le silence au point que ça en devienne gênant : Bastet avait alors juste balancer ce qui lui passait par la tête Sympa, l'autre était vraiment sympa. Il l'avait nourri, blanche, douché, donné à boire - même si c'était absolument horrible. Il lui avait demandé ce qu'il voulait et, aussi perturbant que ce soit, le neko sentait bien que cela venait d'un bon sentiment.

Et pourtant, ses paroles n'avaient aucun sens à ses oreilles. A la limite, qu'il l'héberge, pourquoi pas : c'était ce que faisaient les humains avec lui, le laisser vivre pour apaiser un peu leur mauvaise conscience. Mais ça dépassait ça. Il avait supporté ses blagues avec bonne humeur et même tenté d'y répondre. Il avait essayé de le mettre à l'aise. Rien ne l'y obligeait.

"Je ne comprends pas.." répéta-t-il. "Comment tas pu survivre jusque là en pensant comme ça ?"

Pour le chat, la loi régnant dans le monde extérieur était celle du plus fort, du plus adapté. Les humains étaient plus forts que lui, donc ils étaient ses maitres. Si d'aventure il se révélait plus fort qu'eux, il n'aurait aucun scrupule à abandonner son maitre du moment et prendre son envol. Ce n'était pas la gentillesse qui gouvernait le monde : c'était la capacité de supplanter les autres.

En face de lui se tenait quelqu'un qui aurait dû être son égal : un hybride. Il aurait dû avoir peur, tenter de se protéger, vivre au jour le jour en évitant de penser au lendemain. Et ce quelqu'un se trouvait être considéré comme l'égal des humains. Il avait une vie, un nom de famille, un appartement, des choses qui comptaient pour lui - tout ce qu'un hybride n'avait pas. Et par dessus tout ça, il se montrait... sympa. Accesible. Gentil. Comment personne n'avait encore pu profité de lui ? Bastet ne comprenait vraiment pas, et ce n'était pourtant pas faute d'essayer !

" Ou alors, c'est que tu veux quelque chose de moi ?" demanda le neko, presque soulagé à cette idée.  Ca, il aurait pu le comprendre. Une gentillesse de façade dans le but d'obtenir de lui de l'attention ou des services physiques, il connaissait : c'était la façon dont les humains fonctionnaient. Il était prêt si besoin à lui offrir ce qu'il avait - ce qui, dans son cas personnel, revenait à peu de choses. En fait...

- C'est que je n'ai rien à t'offrir à part mon corps" termina-t-il, tout à fait sérieusement.

Est-ce que ceci pouvait être compté comme une tentative de meurtre ? En tout cas ça y ressemblait bien. "Mort par étouffement" : quand on disait que l'alcool causait des morts, c'en était une application littérale !

Malgré sa fatigue, Bastet se pencha instinctivement en voyant son hôte arrondir les joues comme un ballon d'hélium rouge gonflé d'hélium. Il va exploser, tous aux abris ! Vu la brulure de l'alcool sur sa gorge, sa peau allait fondre en cas de brumisation c'est certain. Mais Kisui réussit tant bien que mal à empêcher la tornade d'acide chlorhydrique de retapisser son mur. Avec prudence, le chat releva la tête. Alerte passée temporairement ; par contre, l'hybride irradiait suffisamment de chaleur et de gêne pour justifier le réchauffement climatique à lui tout seul.

- Bah si t'en es un je préférerais en croiser plus souvent, des comme toi, répondit Bastet sans y voir de mal.

Sa réaction le déstabilisait un peu. Il ne l'accusait de rien, c'était juste ainsi que le monde marchait : si tu ne donnes pas, on te prend. Le neko préférait su coup offrir et obtenir en échange plutôt que d'attendre qu'on lui arrache, c'est tout. Quant à Kisui... Le type l'avait hébergé, douché, nourri sans lui demander quoi que ce soit en échange : alors oui, des pervers dans ce genre là, Bastet était pour. La dernière fois qu'on lui avait fait le coup, il avait mis plusieurs jours avant de pouvoir se rasseoir, et la fois d'avant... Non, il ne voulait pas se rappeler la fois d'avant, vraiment.

Vraiment bizarre ce type. Légérement dessoulé, il le regarda se servir un autre verre et le fixer comme s'il pouvait s'y noyer. Fais gaffe, fit remarquer un coin de son esprit, deux verres en si peu de temps c'est pas bon signe. Un pochard n'est pas de bonne compagnie... Sans rien dire, il se pencha pour attraper la bouteille sous le prétexte de s'en resservir un fond et posa la bouteille à ses pieds, hors de vue d'Alguinator. Loin des yeux, loin du coeur..

Mais avec la sobriété revenait le coté taquin du chat. Le meilleur moyen de faire oublier une tension - et de se marrer un petit coup aussi parce que, hey, c'était bon pour la santé - c'était de balancer une vanne pour relancer la discussion. Son regard s'arrêta sur le jeu de cartes que le retapisseur de tapisserie avait entre les mains juste avant, les cartes filant se mêler entre ses longs doigts effilés.

- Parle moi de toi avant que je ne te réclame un strip-poker, grimaça le félin, prêt à se jeter sur le coté en cas de seconde attaque vaporisante.

Lui qui avait espéré mettre mal à l'aise Algounet et le forcer ainsi à abborder le sujet de sa famille fut surpris de sa réaction. Sourire carnassier ? Pas d'aspersion d'alcool ? Pas qu'il en soit déçu mais quand même... Il réalisa en reportant son regard sur ses mains. Des mains agiles qui manipulaient le paquet de cartes aussi facilement qu'un simple stylo, mélangeant et distribuant avec une agilité presque magnétique. Le chat opina presque imperceptiblement, impressionné par son aisance. En voilà un qui devait savoir user de doigté dans la vie de tous les jours !

Croyait-il le mettre en défaut en le forçant à jouer ses vêtements ? Bastet sourit. Pas de pudeur, il avait oublié ? Pour lui, le défi ne posait aucun problème. Pour le distributeur de cartes par contre... Il laissa ses yeux descendre sur son corps. Pas de façon gourmande, juste curieuse. Oui, rien que pour ça, ça valait le coup.

- Je te laisse distribuer. Rappelle moi les règles ?

Avance rapide : quelques minutes plus tard, un Bastet uniquement en caleçon et pantalon se rassit sur le canapé, face à un Kisui qui avait perdu.... une chaussette. La droite, très précisément.

Il trichait, le chat en était persuadé. Mais le félin était d'avis que tant qu'on ne faisait pas prendre, rien n'interdisait d'enfreindre les règles, voire que cela rendait le jeu plus intéressant. Il tentait sans cesse de surprendre Kisui en train falsifier les cartes mais ses gestes trop rapides et assurés associés à sa poker-face le dépassaient. Intéressant. Malgré l'alcool dans son sang, Bastet se concentra sur son jeu, plus pour le plaisir de jouer tout court que par amour pour le poker. Il n'en connaissait que vaguement les régles, juste assez pour savoir que Kisui les suivait visiblement.

Et c'est ainsi que...

- Encore perdu...

Il se releva et fit tomber le pantalon qu'il posa avec soin sur l'accoudoir à coté de lui avant de se rasseoir, souplement, uniquement vêtu d'un caleçon. Le regard de Kisui sur lui le fit sourire, lui rappelant sa gêne face à son corps nu plus tôt. Bastet se fichait de finir à poil mais... son hôte peut-être pas. Oserait-il gagner la prochaine manche ? La question méritait d'être tranchée.

- Allez, distribue" le nargua-t-il d'un fin sourire.