Sasageyo [Pv Wilson]

La réponse à sa question ne tarda pas. Elle était venue pour le voir, pour être sûre que tout tournait rond ici. Le ratel perdit son sourire. Pas que les choses aillent particulierement mal mais elles n’allaient pas non plus parfaitement dans le sens qu’il aurait voulu non plus. Il se contenta de soupirer, attendant de voir si Kali avait des questions un peu plus précises à lui poser ou s’il devrait tenter de se lancer dans un résumé non-exhaustif de leurs activités pendant ce qu’elle avait appelé ses “vacances forcées”. Fort heureusement elle reprit commentant les valises qui se baladaient sous ses yeux. Il écarta ces considérations d’un vague geste de la main.

- L’hiver n’est jamais une très bonne période mais je pense surtout que je manque de sommeil. Rien de bien grave en soit. Et puis, en matière de grise mine tu peux parler, ajouta-t-il avec un demi-sourire.

Il ne se formalisait plus du vouvoiement qu’elle continuait de lui attribuer alors que lui-même était passé à une forme de discours moins pompeuse. Il lui avait deja dit que ce n’était pas la peine sans que cela ne fasse intervenir aucun changement alors, maintenant, il laissait couler. Elle se retourna vers lui, ses yeux bleus semblant chercher à determiner quelque chose sans que le ratel ne puisse dire de quoi il s’agissait. Elle finit par en arriver aux faits, posant une question directe. Il prit le temps de méditer ces paroles quelques instants. Est-ce que l’intervention avait porté ses fruits ? Pour être parfaitement honnête, pour le moment, rien de nouveau sous le froid soleil hivernal.

- Nous avons pu reperer deux maîtres abusifs qui avaient échappes à nos espions ce qui est un résultat en soit. Une enquête est en cours à ce niveau la. Sinon on parle de nous en ville, en bien et en mal. Le mouvement de foule a provoqué des quelques dégats et, malgré mes attentes, il y a des blessés. J’ai aussi tâté du taser d’un Rabatteur mais rien de bien grave. Il ne m’a pas suivi jusqu’ici et mis à part un bras engourdi pendant un bon moment tout va bien.

Son regard s’assombri alors qu’il songeait à un autre événement survenu lors de l’intervention au marché de Noël. Une chose qu’il aurait préféré voir ne jamais arrivé d’autant plus qu’ils n’avaient pas vraiment de pistes quant à la nature des agresseurs.

- Le plus ennuyeux dans toute cette affaire c’est la capture de Waren par un groupe non-identifié. Les deux autres membres de son équipe sont revenus ici pour faire leur rapport. Ce n’étaient pas des Rabatteurs. Il y avait un homme et une femme. Seul l’homme s’est battu et les notres ont battu en retraite, l’ordre étant de ne pas provoquer de dégats. Depuis, aucune nouvelle de lui.

Wilson se sentait responsable de cet échec. Waren n’était pas dans leurs rangs depuis plus de deux ans mais, même si le ratel ne le connaissait pas bien, il restait un membre de la Révolution, un membre de leur famille. Il avait demandé à ce que des recherches soient effectuées mais elles restaient infructueuses pour le moment. La description de l’homme était trop vague. Cependant, il songeait demander à leurs sentinelles d’ouvrir l’oeil par rapport à la femme. L’hybride plus précisement. Blonde, tatouée et une corne manquante. Ce n’étaient que des informations partielles mais ils devrait être possible de mettre la main sur elle et, par conséquent, sur son complice.

- J’ai aussi observé… Comme des travaux dans la grotte. Shin ne m’a rien dit a ce sujet… On déménage ?

À la mention de la grenouille Wilson se raidit. Si cette peste n’était pas aussi utile il se serait fait un malin plaisir de la punaiser à un mur. Mais il avait besoin d’elle, c’était un élément precieux, alors il prenait sur lui. Il soupira bruyemment avant de s’affaler sur la chaise de son bureau qu’il avait trainée devant l’âtre.

- Le projet a pris du retard mais nous allons avoir de l’électricite ici. D’où le bordel ambiant. Je vais faire installer des bacs remplis de micro-algues. Ces dernières vont créer de l’énergie pendant qu’elles feront de la photosynthèse et, une fois mortes, nous les récupèrerons pour les mettre dans un méthaniseur et avoir ainsi une seconde source d’énergie. La grotte n’est pas trop étendue, ce sera probablement suffisant. La suite du programme c’est d’utiliser cette energie pour avoir un système de distribution d’eau en différents points grâce à la mise en place de pompes hydrauliques un peu partout. Il se passa une main sur son visage, fatigué d’avance au vu de l’organisation que toute cette entreprise demandait. Je ne suis pas étonné que Shin ne t’ait rien dit à ce propos. Elle pense que je suis inutile à mon poste et que tout cela sera un échec cuisant.

On pouvait sans difficultés sentir le ressentiment qui vibrait dans la voix du meneur des Révolutionnaires. Ce genre de point de vue ne faisait qu’affermir sa determination mais on ne pouvait pas nier que cela l’irritait considérablement. Il avait une autre question à discuter avec Kali néanmoins il attendait son retour sur tout ça avant de poursuivre. Elle avait été loin d’eux pendant un certain temps, il lui laissait un moment pour remettre en ordre les différents points évoqués.

Bien, si au moins Kali approuvait ce qu'il faisait ici alors il était heureux. Que Shin soit contente ou pas n'était pas vraiment un problème. Nombre de Révolutionnaires étaient comme son bras-droit et pensaient qu'un peu de modernité ne leur ferait pas de mal. Il fit une moue désabusée lorsque la jeune femme lui fit remarquer qu'au yeux de Shin, personne n'était bon si ce n'était elle-même. Le ratel répondit à cela par un soupir mécontent avant de croiser les bras. Vrai ou non cela la contrariait. Il ne répondit pas tandis qu'elle défendait la grenouille. Il savait tout cela et c'était bien les compétences de la peste qui la sauvait d'une mort lente et douloureuse. Qu'il le sache ne l'empêchait pas de manquer de se mettre en colère à presque toutes leurs entrevues. Il soupira de nouveau lorsqu'il eut l'impression que le chapitre était clos.

- Je sais tout ça, ne t'en fait pas. Si je ne m'efforçais pas de prendre sur moi je pense que j'aurais déjà transformé la peste en carpette, dit-il avec un brin d'humour noir. Nos relations ne s'améliorent pas mais elles n'empirent pas non plus. Je ne lui donne pas d'ordres et en échange elle me donne parfois des informations plutôt que de juste faire la gueule.

Wilson haussa vaguement une épaule, c'était pas comme si cette situation était parfaite mais, au moins, ça leur évitait de s'engueuler continuellement. Ils ne seraient probablement jamais bon camarades mais le ratel espérait gagner un brin de respect un de ces jours. C'était bien loin d'être gagné. D'autant plus qu'il avait bien compris que la grenouille prenait un très malin plaisir à tenter de le faire sortir hors de ses gonds à la moindre occasion.

- Je sais que votre autorité est souvent contestée mais maintenant que je suis retour, je saurais faire taire les médisants. Je ne vous ai pas choisi par hasard pour me remplacer... Je sais que vous êtes capable de beaucoup de choses. Ne laissez pas les autres, détruire votre confiance. J'ai aussi commis des erreurs, on en ressort que plus sage.

Kali revint vers la cheminée, elle qui s'était tenue en équilibre sur le bureau pendant tout son discours. Le ratel se laissa aller à se balancer sur les pieds de sa chaise. Attitude futile mais qui démontrait qu'il ne craignait pas de laisser transparaître son stress devant son plus grand soutien. Il ne savait pas trop quoi répondre à cela. Il savait qu'elle avait raion mais, dans un autre sens il aurait aimé pouvoir prouver lui-même sa valeur.

- Je suis heureux que nous puissions de nouveau avoir ce genre de conversation, finit-il par lâcher avec un léger sourire.

C'était vrai et il n'avait pas envie d'étaler plus avant ses doutes sur ses capacités de meneurs d'hommes. Il avait appris à composer avec et, de manière générale, lorsqu'il était en public tout se passait très bien et il n'avait pas l'air de craindre son propre poste. Il ne se permettait tout cela que parce qu'il s'agissait de Kali. Pour les autres Révolutionnaires il devait continuer d'être une force tranquille que rien ne pouvait émouvoir ou ébranler.

- D'ailleurs, pendant que tu es là, il y a un sujet que je voulais aborder avec toi.

Il n'en avait encore parlé à personne, ne sachant pas comment cela pourrait être pris par les autres membres de la Révolution. Cette idée avait commencé à germer lorsqu'il s'était confronté à des problèmes de fonds pour financer leur installation électrique et hydraulique. Même s'ils avaient pu récupérer ou voler une bonne partie des matériaux il fallait bien payer au moins les algues. On mettait pas n'importe quoi dans les aquariums mine de rien. Le tout étant qu'il en était venu à penser à cette solution parce qu'il n'en voyait pas vraiment d'autre.

- Nous avons clairement besoin d'argent. Les comptes ne sont pas bons, les quelques armes à feu que nous possédons commencent à dater. J'en suis donc venu à me demander de quelle manière nous pourrions nous débrouiller. Que penses-tu de faire ouvrir une boutique quelconque en ville par un ou deux de nos membres dont l'hybridation est discrète ? On aurait une source de revenus et, en plus de ça, de nouveaux informateurs qui pourraient devenir de précieuses sources d'information puisqu'au contact même de la population.

Wilson laissa passer un silence. Il lui semblait qu'il tenait là une idée intéressante mais il craignait tout de même la réaction de Kali. Parce qu'il proposait ni plus ni moins que certains d'entre eux se fassent passer pour des humains et il savait que ça ne plairait pas forcément à tout le monde et c'était précisément pour ça qu'il avait grand besoin de l'avis de son bras-droit. Elle était bien plus douée que lui quand il s'agissait de jauger les gens et saurait mieux évaluer que lui les réactions potentielles de l'ensemble des Révolutionnaires face à une telle proposition.

- Je n'en ai parlé à personne pour le moment donc tu te doutes bien que ce n'est qu'à l'état d'ébauche.

Il cessa de se balancer sur sa chaise, plantant son regard dans celui de la jeune femme, attendant son verdict avec une patience affichée qu'il ne ressentait pas vraiment. C'était de cette manière qu'il pouvait aider le plus efficacement les siens. En trouvant de nouvelles idées, de nouvelles solutions, et il comptait complètement sur Kali pour l'aider dans cette tâche ardue. Les Révolutionnaires étaient de féroces combattants mais certains restaient résolument fermés à l'innovation et au changement. Il s'agissait généralement des plus anciens, qui ne voyaient pas forcément d'un bon oeil sa politique plus "calme" que celle de ses prédécesseurs.

Kali abonda rapidement dans son sens, l’argent était le nerf de la guerre et elle en était aussi consciente que lui. Elle ne trouva pas l’idée d’ouvrir une boutique discrète en ville soit une idée saugrenue ce qui réconforta Wilson bien plus qu’il ne voulait l’admettre. Pouvoir partager ses projets avec quelqu’un avant de les mettre en œuvre ça avait quelque chose de parfaitement rafraîchissant. Il avait moins l’impression de se lancer dans le mur à chaque décision prise lorsqu’il pouvait les discuter avec Kali en amont. Elle précisa qu’il leur faudrait des hommes ou des femmes expérimentées. Wilson se contenta de hocher la tête. Il n’avait pas encore pensé à qui, ni même au comment. Il s’était juste dit que cela pouvait être une bonne idée puisqu’ils étaient toujours en quête de fonds. La jeune femme proposa ensuite de donner une partie de ses propres revenus à la cause.

- Si cette installation se déroule comme prévu nous aurons forcément besoin de financements pour les premiers mois de loyer. Je ne peux que te remercier pour ton offre, ce sera une aide non-négligeable.

Il ne se montrait pas obséquieux, il était simplement honnête. Peu d’hybrides révolutionnaires travaillaient, pour beaucoup l’idée même d’avoir un travail et de se comporter comme le ferait un humain était révoltante. Ils luttaient contre ce système, ce n’était pas pour finir par en faire partie. Alors qu’il cessait de se balancer sur sa chaise le ratel précisa qu’il n’avait pas parlé de cela à qui que ce soit, sous-entendant qu’il ne fallait pas que ça sorte de cette pièce pour le moment. Pas qu’il doutât de Kali mais s’il ne le lui disait pas elle pourrait aisément penser qu’il en avait parlé à d’autres hybrides dont il était supposément proche. L’anaconda précisa les différentes tâches qui les attendait s’ils voulaient mettre tout cela en place.

- Ca peut être une idée, certains n’aspirent pas au combat, même s’ils se gardent bien de le dire tout haut de peur de se faire passer à tabac.

Wilson ne faisait rien pour aller à l’encontre de telles pratiques même s’il s’arrangeait pour assigner ces hybrides précis à des tâches qui les éloignaient des zones de combat, les reléguant à la recherche d’information notamment. Kali le sortit de ses pensées en parlant du type de boutique qu’ils allaient ouvrir et Wilson ne put s’empêcher un léger rire en imaginant l’anaconda en train de préparer des cookies.

- Ne t’en fais pas, je ne compte pas te demander de faire de la pâtisserie. Je pensais plutôt à quelque chose qui nous permettrait d’exploiter les ressources que nous avons dores et déjà à disposition : la forêt.

Il savait que c’était un peu cryptique pour le moment mais il trouvait amusant de pouvoir un peu ménager son effet. Il n’était pas un grand stratège ni particulièrement intelligent mais, pour le coup, il était plutôt content de son idée.

- Nous avons des hybrides qui connaissent parfaitement les plantes et je suis certain qu’ils seraient ravis de former un herboriste. Ca aurait l’avantage de ne pas demander un truc grand local commercial tout en nous offrant la possibilité d’avoir un local plus conséquent sur les docs pour « faire sécher les herbes nécessaires à nos décoctions ». Je suis certain qu’on parviendra à se faire un nom quand quelques dindes gloussantes auront vu les effets miracles de nos « tisanes amincissantes » et autres produits miracles.

Il avait pensé à Lance, l’hybride lupin qui leur servait de médecin. Ce dernier ne pourrait jamais tenir la boutique en se faisant passer pour un humain mais il pourrait transmettre sa connaissance des plantes à celui qui leur servirait de tenancier. Wilson se montrait moqueur. Il savait que les plantes avaient des vertus thérapeutiques mais il se rendait aussi compte que c’était aussi un effet de mode, d’en revenir à des manières saines et naturelles de se soigner. Autant utiliser ça à leur avantage.

- Personne ne soupçonnera que les aller-retours de l’herboriste en forêt soit pour autre chose que pour ramasser les plantes qu’il ne peut pas installer en culture. Qu’est-ce que tu en dis ?

Il avait songé à ce thème quelques temps auparavant, sachant pertinemment qu’il ne valait pas vraiment la peine de discuter d’une idée si elle n’était pas un tant soit peu réfléchie à défaut d’être aboutie. Il faisait maintenant confiance à l’anaconda pour être parfaitement honnête avoir lui voire, pour ajouter de nouveaux éléments. Tout cela prenait forme et, peut-être, prendrait-il corps.

L'anaconda ne se fit pas prier pour répondre à sa remarque légèrement sexiste. Le meneur des Révolutionnaires se prit à sourire. Elle n'avait pas tout à fait tort, il faudrait tirer parti de tous les marchés qu'ils pourraient atteindre. Il préféra néanmoins ne pas pousser la digression plus avant et évoqua la discrétion des mouvements entre la forêt et la ville plutôt que de renchérir. Elle lui retourna la question du "qui". Pour le moment il n'en avait pas la moindre idée aussi haussa-t-il vaguement une épaule, complétant de quelques mots ce geste pourtant éloquant.

- Je ne sais pas. Je voulais discuter avec toi de la faisabilité d'un tel projet avant tout, je ne me suis donc pas encore penché sur la question.

Peut-être aurait-il dû mais, en même temps, il préférait ne pas avoir placé trop d'espoirs en cette opération de prime abords. Cela aurait pu paraître sans avenir aux yeux de l'anaconda et Wilson respectait son avis. Il savait qu'elle avait une vue sur le long terme qui lui manquait parfois. Tout s'était parfaitement bien passé lorsqu'elle était à la tête de la Révolution. Il se demandait parfois s'il ne serait pas temps de lui rendre le job. Il pensait qu'elle ferait une dirigente tout aussi capable que lui, si ce n'était plus.

- Tu as tout mon soutien, même si tu ne me vois pas, je suis là et je serais à nouveau à tes côtés avant même que je puisse te manquer.

Il hocha doucement la tête, son regard posé son bras droit. Il ne savait pas ce qu'il aurait fait sans elle jusqu'ici. Il soupira lorsqu'il remarqua à son tour que l'heure avançait et que Kali n'allait guère pouvoir s'éterniser. Il aurait aimé qu'ils aient davantage le temps de discuter. Enfin, il pouvait déjà s'estimer heureux qu'elle ait fait le chemin jusque là et qu'ils aient pu aborder les points clé du moment.

- Merci Kali, finit-il par dire. J'espère que tu pourras revenir parmi nous rapidement. Je sais que je ne serais pas le seul à être heureux de ton retour.

Il ne voulait pas la chasser mais elle allait devoir partir, s'en retourner en ville. Sachant cela le ratel récupéra le manteau de la jeune femme et le lui tendit avec l'air de vouloir ajouter quelque chose. Il aurait voulu pouvoir lui demander de rester mais il ne pouvait pas aussi ravala-t-il ses paroles. Ca aurait été vain et, pour couronner le tout, il aurait eu l'air faible. Il pouvait se débrouiller seul jusqu'à son retour. La Révolution se portait plutôt pas mal et la grotte ne s'était pas écroulée. Ca devait être assez bon signe.

- A bientôt, lâcha-t-il plutôt.

Une ombre de sourire flotta sur ses lèvres avant de s'effacer tandis que Kali passait le seuil de la porte. Il referma le panneau de bois derrière elle avant de se diriger vers son bureau. La nuit n'était malheureusement terminée. Maintenant qu'il avait l'avis de Kali sur certains points il allait pouvoir mettre en branle les opérations propremment dites.