Je ne pensais pas revenir par ici. Et je ne peux pas dire que l'endroit me manquait. Je ne suis pas rentrée à l'intérieur, mais déjà le parking est toujours aussi déprimant. Les odeurs de sang, de mort, de testostérone et de peur sont déjà perceptible ici. Faibles, mais désagréables. L'entrée est toujours aussi moche, et elle est toujours surveillée. Mais moi, c'est pas l'entrée qui m'intéresse. C'est une voiture, un peu plus loin sur le parking. une Mercedes noire, quasiment la même que celle où je montais quand il m'emmenait à l'arène. J'ai compris, en discutant avec Noïd que Soloviev avait changé pas mal de choses, depuis mon abandon. Il a rassemblé son appartement et l’entrepôt qu'il possédait alors en une seule villa sécurisée. Trop pour moi. Et il a sacrément élevé son niveau de vie. Visiblement son commerce marche bien. Chose dont je me ficherait totalement... Si MA fille n'était pas sur sa liste des marchandises.
Autour de la voiture, je cherche un endroit où attendre ma proie. Un échafaudage voisin, pas mal. Légèrement en hauteur, a quelques mètres de la voiture, et me donnant un angle de tir parfait sur la place conducteur. Soloviev a toujours aimé conduire. Trop vite d'ailleurs, et de manière très inconfortable. Et maintenant? J'attends. J'attends patiemment que finissent les combats du soir, les discussions techniques de Soloviev avec divers maitres, entraineurs ou acheteurs. J'attends qu'il revienne à sa voiture, en espérant qu'il aura été satisfait par les combats, au point de boire quelques verres. Oh, pas que j'espère qu'il soit saoul. Il ne l'est jamais totalement en public. Juste que sa résistance soit amoindrie. Parce que je sais que je n'aurais qu'une seule chance.
Parce que j'avoue que je n'ai rien totalement préparé. J'ai juste laissé mes filles avec leurs père respectifs, sans leur dire mes projets. Je pense que Noïd s'en doute, vu comment il m'a regardé. Je sais qu'Akatora voudrait m'aider si je le lui disait. Mais si je tombe j'ai besoin d'eux pour protéger mes enfants. Alors j'ai profité de ce qu'Akatora est avec Lyraëlle, en sachant que, comme il l'a si bien fait la semaine dernière, il saura la bercer jusqu'à ce qu'elle s’endorme et veiller son sommeil. J'ai laissé Mika repartir avec son père, puisqu'elle est encore trop effrayée à l'idée de venir avec moi. Ce qui m'a blessé, bien sur. Elle a peur du changement. Et je crois qu'elle a perçu que si son père voulait qu'elle vienne avec moi, c'est pas juste parce que c'est MON bébé, mais aussi parce qu'il craint qu'elle ne lui soit reprise. Et pour elle, c'est forcément de "monsieur" qu'elle doit avoir peur. Comment ce rebut de l'humanité peut exiger d'un ange comme ma fille qu'elle l'appelle "monsieur", ça me dégoute. Bref. Je vais m'assurer de tenir la promesse que je lui ai faite ce matin même, en même temps que je prenais ma décision: Plus jamais elle n'y retournera.
Les premiers couples maitre esclave ressortent. Pas Soloviev. C'est bon signe. Il ne repartait dans les premiers que quand je perdais, et encore. J'attends. Je suis patiente. Terrance m'as appris à rester à l'affut, et c'est ce que je fais. Je suis loin de la jeune femme que j'étais à l'époque. Sous mes yeux, d'autres humains et d'autres hybrides qui sortent. Tous n'ont pas la démarche assurée, et pas tous pour les mêmes raisons. Disons que pour les humains, j'ai plutôt tendance à dire que c'est l'alcool qui pose problème. Pas les coups.Toujours pas de Soloviev? Si. Il est à la porte, discutant avec une humaine. A leurs côté, un hybride, assez jeune, tenu en laisse, se dandine nerveusement d'un pied sur l'autre. Ce sont les derniers à sortir, et derrière eux, l'hybride de sécurité de l'arène referme la porte. De l'argent change de main, et ils approchent de la voiture en discutant. Mince, s'ils restent là les 2 autres, je pourrait pas frapper. Ou plus exactement, ils verront la pierre voler, et je ne pourrais pas profiter de l'agitation pour fuir dans la nuit. Non. La femme s'en va, trainant l'esclave derrière elle. Allez, profite en. Je charge ma fronde. Je tremble. Pourquoi je tremble, bon sang?! Respire doucement... Concentre toi...
Je n'y arrive pas. Je sais que si ce connard reste en vie, ma fille sera en danger, à vie. Seulement, je n'arrive pas à abattre ce chien de sang froid. Je n'ai jamais été une tueuse. Et si je pensais que le fait d'avoir tué mon maitre précédent m'aiderait, je dois me rendre à l'évidence. Poignarder un imbécile dans une mêlée confuse par accident et assassiner de sang froid même le dernier des salops, c'est pas la même chose. Allez, tue le, bon sang! Il va partir, continuer de terroriser ma fille! Il est déjà en train d'ouvrir la portière, quand son téléphone sonne, et qu'il interrompt son geste. Décrochant son téléphone, il s'adosse à la voiture, comme à son habitude, et répond. Je n'entends que ses réponses. Il parle de résultats. Non.
"Eh bien dépèche toi un peu plus! Et si tu arrive à me capturer son "sauveur", ce sera tout bénef. Une fois que je l'aurai brisé elle me mangera dans la main, cette petite."
Il parle de Noïd. De Noïd et de ma fille! Il sait où ils sont?! Il y a danger! Mais c'est quand j'entends la phrase suivante que je perds mes doutes.
"Et si ça ne suffit pas, crois moi, une jolie gamine comme ça, il y a un marché pour, on verra bien si ça ne la rend pas plus doci..."
Il ne finit pas sa phrase. Et moi je ne me sers pas de ma fronde. Dans un grondement animal, je bondis de mon échafaudage, tombant lourdement sur mon ancien maitre. Un cri étranglé, coupé par mon genoux rencontrant son estomac. Et la lame de mon opinel qui s'enfonce dans la chair, 3, 4, 5 fois. Je suis en sueur, mon coeur bat à toute allure. Mais je vois bien l'étincelle de vie qui vacille dans les yeux de mon ancien maitre. Il m'a reconnu. Tant pis. Le téléphone est toujours allumé. J'entends un "allo? Allo?! Maitre?" Auquel je réponds dans un grondement.
"Toi. Approche de ma fille. Je te tue pareil."
Je ne raccroche pas assez vite pour louper le couinement effrayé à l'autre bout du fil. Et maintenant? La scène n'a pas duré plus de deux minutes. Par colère plus que par réel acquis de conscience, je replonge ma lame dans le corps du russe, avant de l'essuyer sur ses vêtements. Et je pars en courant, me fondant dans les ombres, laissant derrière moi un corps et une mare de sang.
Ce n'est qu'arrivée à la foret, après les premiers arbres que j'arrête de courir, et que je vide mon estomac. Plus jamais ce batard ne touchera à ma fille. Pour autant, je ne me sens pas soulagée. Le danger n'est pas écarté pour ma fille. J'espère juste que mon avertissement, plus animal qu'humain, a suffisamment effrayé l'esclave envoyé après eux. Un dernier spasme, et je me dirige vers la rivière. Je dois me nettoyer. Rentrer. Et demain, reprendre ma vie pour mes enfants. Comme si de rien était.