Les bases d'une relation saine (Soso)

Un jour, peut-être je m'habituera à cette manière de parler impersonnelle. Mais pas demain, j'ai piscine. C'est nul. Mais ça m'amuse. Un hochement de tête, et je la vois repartir. Elle chôme pas, dis donc. J'ai jamais fait serveuse. J'ai bossé aux cuisine de l'hosto, à la lingerie de l'hosto, à nettoyer l'hosto... Mais pas ailleurs. Elle a pas l'air d'avoir de mal. Et elle se fout des mecs qui lorgnent sous sa jupe ou lui parlent mal. Moi, ça me hérisse le poil. Parce que toute hybride qu'elle soit, Sofia reste une femme, et que je sais très bien que ceux qui la traitent ainsi sont pareil avec moi. Juste ils le disent moins fort, parce que je suis humaine et pas hybride. D'ailleurs ça me fait penser, le prochain qui m'invite au resto, j'lui dirai de venir ici un jour ou elle fait le service. Parce que s'il la traite bien, il est cool, sinon... Il pourra aller se faire cuire un œuf. Si tu veux connaitre la valeur d'un homme regarde comment il traite ses inférieurs, pas ses égaux. Je sais plus où j'ai lu ça, mais j'aime bien cette phrase.

Quand elle revient avec la commande, elle hoche la tête. Une première fois, puis une deuxième. Je souris encore, soulagée que le pansement aie tenu. Enfin, je crois que c'est ce qu'elle voulait dire. Pas que je doute de mes capacités (pas grand chose dont je sois fière, mais ça, oui!), simplement, je craignais qu'il soit insuffisant. J'avais utilisé le gros du matos sur le gamin après tout. J'espère qu'il va bien. Surement. Maintenant ta gueule. De toutes manières, je prévoyais de le refaire aujourd'hui, si possible. Elle repart aussitôt et je mange doucement. Je suis pas pressée, je reprends pas le travail. Et pis c'est bon, et chaud (très chaud, d'ailleurs!), et j'ai un roman sympathique à lire, avec des parents chelou, des coucheries à droite à gauche qui donnent des enfants échangés les uns avec les autres... Ah et des tentatives de meurtres pour couvrir tout ça. C'est bien écrit mais faut s'accrocher pour comprendre. Et heureusement que je le lis en français, parce que s'il fallait traduire...

La vague de travailleurs reflue tandis que je fini doucement mes brochettes. Chaque fois que je viens, Sofia me sert un truc différent et chaque fois, quand elle débarrasse, je lui donne mon avis sur le plat. Pas s'il est bien fait ou pas, j'en sais rien. Sur ce que moi j'en pense. La dernière fois, j'crois que je lui avait dit que j'avais "découvert que j'aimais pas l'edamane". Cette fois, c'était cool. Et je dit aussi. Je crois qu'elle apprécie d'entendre les compliments, pas pour elle mais pour le cuisinier.

"C'était bon, j'avais jamais gouté! c'est du poisson sur le dessus?"

Et je glousse de voir la bouteille. La première fois, j'avais trouvé ça vachement malin, j'avais depuis compris qu'elle avait prit le mot au pied de la lettre. Et dans la foulée, elle propose un dessert. Cette maligne. Il n'y a quasiment plus personne dans le restau, je ne sais pas si elle a compris que j'essayais de la voir en fin de service, mais c'est sur qu'avec le dessert, j'allais rester plus tard. Et aussi dépenser plus. Mais bon, je savais pouvoir me le permettre. Et j'espérais pouvoir me permettre encore un peu plus d'ici quelques semaines. Du coup, va pour les mochis! Un hochement de tête, et je me retrouve avec des boulettes de riz gluant fourrées à je sais pas quoi. Ca, je connais. On en a en France. A ceci prêt qu'ils sont vachement meilleurs ici. Je crois qu'il ne reste que moi, pendant que je mange doucement mon dessert. Elle revient quand j'ai fini, et... alors les mots, disent presque "contente de te voir", le ton est toujours robotique. C'est d'un frustrant! Je me concentre sur les mots, pour répondre en haussant les épaules.

"Je mange toujours bien ici. Je pensais juste ne pas être bienvenue."

Et ne pas venir m'avait fait ch... Parce que justement, j'aime bien. J'ai même pas osé venir quand les internes ont fait leur pot de départ il y a quinze jours, parce que c'était ici, et que j'évitais consciencieusement Sofia, et essayait de respecter son "territoire". J'esquive son regard en indiquant mon sac du menton. Une nouvelle fois, je porte ma main au bras, toujours à peu près discrètement. J'ai les bases théoriques, je sais qu'il est inutile de surveiller autour de moi, ou de baisser le ton, ce qui serait plus suspicieux. Mais entre la théorie et la pratique... Je pense que niveau discrétion, je suis loin, très loin de black widow. M'enfin, d'un autre côté, le chef il sait qu'on s'est... Disons engueulées alors, je vois pas pourquoi ça l'étonnerai que je sois un poil nerveuse. Je vérifie pas (ce serait là aussi suspicieux) mais je serai pas étonnée qu'il surveille de loin comme la dernière fois.

"J't'ai ramené deux trois trucs."

J'attends cependant ses indications. Certes, on est pas à une table en terrasse où n'importe qui pourrait me voir sortir kit à pansement, médicaments et cie. Mais je sais pas si son patron sait qu'elle en a besoin. En soit, je sais pas si ELLE en a besoin. Mais c'est moi qui lui ai fait le pansement, donc derrière, je considère que c'est à moi de faire le "service après vente". Et le gosse, tu lui fais comment? Ta gueule, j'ai dit!

Elle regarde quoi, là, à se dresser presque sur la pointe des pieds? Elle s'attend à ce que je sois assez sotte pour avoir les pansements et autre au vu et au su de tous? Elle m'indique la porte "Staff only", et me demande de l'y suivre. Enfin, comme d'hab, je vais supposer que c'est une demande et pas un ordre... Je ramasse mon sac, et suit sans un mot, juste un signe de tête au propriétaire, le genre "j'sais pas et je cherche pas".

En fait, son casier, c'est pas un casier. Oui, je sais ça ressemble beaucoup à ce que j'ai au travail, à part qu'on a 25 casiers sur 4 rangées, dans les sous sols de l’hôpital. Mais le sien, c'est une armurerie. J'hésite à demander d'un ton ironique où elle range le lance roquette, mais... non.J'ai comme qui dirait cru comprendre qu'elle n'aimait pas les parlottes inutiles, alors l'ironie... Elle sait pas ce qu'elle perd. Faudrait lui faire regarder City Hunter, j'suis sure qu'elle kifferait. Glass Heart, plutôt. Je commence à sortir mon attirail. Set à pansement métallique (dont je compte bien récupérer la pince kocher, j'ai perdu la mienne) avec les unidoses de béta et de sérum hy, les deux autotests, quelques pansements et compresses en rab "juste au cas où", et une petite boite DASRI OPCT (déchets associés aux soins à risques infectieux, objets piquants coupant tranchants. Oui, à l’hôpital on aime les sigles) jaune et rouge que je prévois de jeter discrètement au taff. Je garde dans le sac les sachets d'antibiotiques, le kit de rab ("juste au cas où" aussi), et tout le reste. Mon sac est un grand fourre tout, mais il réussit à toujours être bondé.

Je commence à défaire le pansement, quand elle me pose une question qui me fait tiquer. Acheter des cadeaux? Elle veut que je l'accompagne, MOI?! Euh... C'est un piège pour te faire disparaitre? Elle a prit un coup sur la tête et oublié qu'elle me faisait la gueule? Elle aurait pu me faire disparaitre hier, sans aucun soucis. Ta gueule, on parle pas d'hier! Est-ce qu'au moins tu es sure que terminator-Soso te fait la gueule? Termin.. Nan mais vos gueule. Tous. Et oui, je sais, je suis toute seule dans ma tête. Ou alors c'est pour se faire acheter des cadeaux? Hmmm. J'ai un doute, là.

"Pourquoi pas?"

Ca a beau être le bazar dans ma tête, j'ai toujours la majeure partie de mon cerveau qui est concentrée sur ce que je fais. Défaire la bande entorse, mettre les gants, défaire les sparadraps en roulant vers l'intérieur. Est-ce que c'est moi ou quand j'ai mis les gants elle a tressailli? Pourtant son visage ne montre rien, elle l'à tourné vers sa blessure. J'ai rêvé? Bon, bien sur vu qu'elle avait pas gardé son bras au dessus du corps, ça a saigné encore un peu, et attaché à la gaze. Du coup quand je défais le pansement ça arrache un peu les croutes. A peine, ça saigne pas vraiment, mais bon. La blessure est propre, et je pense qu'un pansement simple suffira. J'appuie un peu en amont puis en aval des points les plus problématique, ceux qui continuaient de saigner... Ouais, quitte à rajouter une compresse, par simple précaution. Bon, ok. Je peux préparer mon champ dans les règles de l'art. J'attrappe mon kit et... pourquoi il est par terre? Et c'est quoi ce cliquetis?

J'ai du mal, d'habitude à lire Soso. Mais là, son comportement de tout son corps me fait dire... Qu'elle a peur?! Elle a quand même pas peur de moi, là?! Nan, quand je me laisse glisser au sol pour ramasser la boite à pansement, je comprends vite ce qui l'effraie. Mais enfin, c'est rien! C'est juste une boite à pansements simple! Y aurait une mèche ou un kit de retire agrafes ou même une agrafeuse, je veux bien mais... Elle a pourtant dit qu'elle avait l'habitude des docs! Pis vu le nombre de cicatrices qu'elle se paie, elle a intérêt à l'avoir, l'habitude! Surtout que si j'ai bien vu, elle a au moins une cicatrice, c'est de l'opéré programmé propre. Merde quoi, SOFIA, et PEUR?! Oui, bon, non. Je l'ai moi même dit il y a quelques semaines: Elle a peur "de moi", que je fasse mal à Meyer. Mais là, rien à voir! Bon, sinon, vos gueule.

Encore une fois, même avec tout ce bazar, j'ai pas perdu le fil. Je récupère le contenu de la boite de la main gauche. Bien sur tout est tombé par terre et est dé-stérilisé. Donc tant pis, plus rien n'est utilisable. Heureusement, j'en ai une deuxième dans le sac. Bon, la bétadine, par contre, elle est réutilisable. Et la deuxième boite, avec ses pinces en plastique verte et bleu lui feront peut-être moins peur. Et puis, elle aime pas que je parle, mais tant pis. Là, il va falloir.

"Il y a des règles quand on soigne quelqu'un. Elles servent à protéger, à empêcher qu'une maladie ne rentre par la blessure. L'une de ces règles est que je n'ai pas le droit de toucher la blessure avec mes mains. Je dois utiliser des pinces pour attraper mes boules de tissus, et laver la plaie avec pour qu'elle soit propre. Qu'elle protège des maladies. Si tu veux, tu peux regarder, tu peux même tripoter celui ci. Maintenant qu'il est tombé par terre, je n'ai pas le droit de l'utiliser pour te soigner."

Je parle doucement, lentement, en articulant, mais sans exagérer. Ton posé, tranquille. Tu viens pas du tout de te planquer, genre je t'explique simplement. J'ai fini de remettre tout le truc dedans, sauf les petits flacons de bétadine savon, d'eau et de bétadine tout court. Je le repose sur le banc, simple, ouvert, inoffensif, et je continue en sortant le second kit (je le laisse fermé pour le moment, sait-on jamais), et les sachets d'antibiotiques, que je pose à côté. Et je tapote l'espace resté libre sur le banc pour l'inciter à revenir.

"Hier, on a pas pu protéger correctement ta blessure. Il y a eu de la terre. Du sang." On avait pas dit qu'on parlait pas d'hier? Ta gueule. "Peut-être des maladies qui sont rentrées. C'est pour ça que je t'ai ramené un set à pansement propre, et des médicaments. Tu dois prendre un sachet, le matin, le midi et le soir, dans un verre d'eau. Si une petite maladie est entrée ça la tuera avant qu'elle ne te fasse mal."

Je reste toujours dans ce ton simple. Directement emprunté de l'infirmière pédiatrique aux urgences, quand je passais mes week ends a déambuler dans l’hôpital, jusqu'à ce qu'elle me "réquisitionne" pour lire des histoires aux gosses plutôt que de trainer comme une âme en peine. Bon, je chantonne pas non plus comme elle le fait avec les plus petits. D'ailleurs, les plus petits, elle les achetait avec des images. J'ai quelque chose, moi pour l'acheter? Je fouille mentalement mon sac... Ouais. La récompense après soin ça peut marcher. Surtout si elle est réceptive à Pavlov. En attendant, je montre les 2 kits d'autotests, et les petites aiguilles à dextro.

"Ensuite, il y a d'autres grosses maladies qui peuvent être entrées. Mes médicaments, là, ne suffisent pas pour ces grosses là. Alors il faut chercher si elles sont entrées dans ton corps. Si oui, on te donnera des médicaments plus fort. Sinon, tout va bien. Tu as beaucoup de cicatrices, je suis sure que ton docteur t'as déjà fait des piqûres, dans le bras ou dans la fesse?"

C'est un hochement de tête, qu'elle a fait? Je crois. Je continue, donc.

"C'est des piqûres pour protéger contre les grosses maladies. Je ne sais pas si elles te protègent bien, comme je ne sais pas quand et lesquelles il t'a fait. Donc j'aurais besoin d'une piqûre au bout du doigt. Juste ça. Une piqûre au bout du doigt et passer mes boules de tissus mouillées sur ta blessure avant de remettre un sparadrap."

En parlant, j'ai attrapé une aiguille à ressort pour la dextro. Je me suis redressée, éloignée d'un pas, et lui ai fait la démonstration. Je déteste les piqûres, mais là, j'ai pas de maitre pour tenir le patient, donc va bien falloir que je donne de ma personne. Un "clac" sonore, je grimace bien sur (j'ai dit que j'aimais pas les piqûres?) et me voilà avec une goutte de sang qui perle au bout du doigt. Que je porte à ma bouche.

"Toi il faudra que tu pose la goutte de sang sur une petite feuille, je te montrerai. Mais tu vois, c'est juste ça. Si tu veux bien dans quinze minutes c'est fini, on y va."

J'indique doucement le banc à nouveau. Je sais très bien que je ne pourrais pas l'obliger j'suis pas idiote. Donc je ne peux qu'attendre qu'elle revienne. J'ai aussi commencé à utiliser les bases de l'hypnose conversationnelle, différente d'hier. Je parle juste, je n'essaie pas de l'entrainer dans un état quelconque. J'évite les négations, je différencie bien les maladies bouh pas bien et le soin tranquille tout doux. Et si je peux refaire les soins, je parlerai de Noël. Des cadeaux qu'elle prévoit de faire, de combien d'argent elle a, si elle a des idées... de manière à la distraire.

Elle s'installe elle est tendue comme un arc. Une minute j'hésite à chantonner mais... nan. Mieux vaut l'emmener sur un terrain déjà réceptif: noël. C'est elle qui l'a initié après tout. Est-ce qu'elle est en train de babiller? Enfin elle a toujours la voix rauque un peu grave mais elle est moins impersonelle que les fois habituelles. Je crois que Sofia est encore plus complexe que je n'imaginais. En soit ca ne devrait pas m'étonner mais bon.

J'accompagne sa conversation. "Une pelle?" "Et alors?" "Ah bon?", émaillé d'autres commentaires plus informatifs. "C'est froid." "J'appuie un peu". De quoi pas la surprendre. Et j'engrange aussi les informations. Ah, mon frère aime la bière, aussi? Je sais qu'il aime le piano il m'a dit. Et se battre avec Sofia. Cette année elle veut autre chose qu'une pelle. En théorie ca fait... au moins un an et des poussières que mon frère l'a recueillie. Il m'a dit un peu plus d'un an il y a quoi un mois? Donc forcément que le connaissant mieux elle pourra avoir plus d'idée en farfouillant dans les magasins. "Sûrement." Et moi aussi.

La detersion 4 temps est rapide. Voyant que les points ne saignent pas même en ayant frotté avec la betadine, je me contente d'un sparadrap simple. J'ai plus que les deux dextros à faire. J'hésite aussi à lui faire faire seule la piqûre en sachant que c'est moins douloureux ainsi, mais finalement j'ai juste un "je pique!" au moment du geste et j'embraye sur "Ah ben c'est bien, ca, beaucoup?" en réponse à la paie qui arrive. Au passage je note que Soso compte en base troll. Un, deux, trois, beaucoup, plein, trop. Je sais plus de qui je tiens ça, sûrement d'un jdr quelconque, mais ca me fait sourire tandis que je lui fais poser son doigt sur les révélateurs des tests. Plus qu'à protéger et attendre le temps indiqué pour que le résultat se stabilise.

Je range mes affaires quand arrive le propriétaire. Je ne sais pas ce qu'il sait. Je sais juste que ca peut lui sembler chelou de la voir m'entrainer dans le vestiaire alors que la dernière fois elle était furax que je sois genre sur l'île. Bon après il la connaît sûrement mieux que moi. Est-ce qu'elle peut être bipolaire aussi? Je sais pas en soit. Je préfère dans tous les cas me concentrer sur ranger mon sac. Les emballages dans le petit sac poubelle, qui rejoindra la première poubelle publique et le reste dans la boîte DASRI qui... ne veut pas se fermer. J'entends l'explication de Sofia et je retiens un gloussement. Au ton avec lequel il repond je devine qu'il a pas tout compris. Et qu'il ne sait peut-être pas qu'elle a été blessée hier. Espérons qu'il n'a pas non plus l'habitude des soins et qu'il n'a pas reconnu le matériel que j'ai rangé! Concentre toi sur ta boite toi. Je finis par la fermer de 2 grands coups dessus, ponctués d'un "saloperie!" Qui doit là aussi surprendre un peu, et la fourre dans le sac, au moment où Sofia précise qu'on va acheter les cadeaux de noël. Ça a pas l'air de m'inquiéter donc bon. Un haussement d'épaule à nouveau, un signe de tête poli quand il ressort, et je suis Sofia à l'extérieur. Quand je reprends la parole j'ai plus ou moins repris mon ton enjoué que tout le monde connaît, détendu un peu gamin.

"Qu'est-ce que tu cherche, en gros? Vêtements, livres, nourriture...?"

J'ai l'intuition que je risque d'avoir pour Soso le même rôle que pour ces gens qui "ont oubliés leurs lunettes." Moi ca ne m'est arrivé qu'une fois, un type qui me demande quand passe le 12 alors que c'est marqué en gros qu'il est annulé. Mais milou m'a dit qu'à la Réunion ca lui était souvent arrive, des gens qui demandent un coup de main pour sortir des sous, lire un résultat ou autre. Sa maman les appelle des gens qui ont oublié leur lunettes parce que c'est des gens qui veulent pas dire qu'ils savent pas lire. Question de sensibilité, d'amour propre. Sauf que... j'reste sur des oeufs. J'ai dans l'idée qu'elle ne sait pas lire mais je ne sais pas comment m'en assurer. Et dans le même temps je veux égoïstement retirer un bénéfice de cette sortie: trouver moi aussi un beau cadeau a faire a mon grand frère. J'ai des sous côté, et ce qu'il m'a dit que son père... notre père me met en colère. Alors je veux lui faire un beau cadeau. Qui lui fera plaisir. Et forcément qui dit Constantine dit Sofia. Et alors lui trouver un cadeau, à elle... M'enfin, d'abord, son ou ses cadeaux.

"Tu veux lui offrir un très gros cadeau ou plusieurs petits?"

Ouais je tourne autour du pot. La vraie question c'est "combien elle peut y mettre" parce que je voudrais pas qu'elle se rende compte que non elle peut pas offrir tel ou tel cadeau parce qu'elle a pas les sous. C'est une situation que j'ai connu plus souvent qu'à mon tour.

Bon pas de réponse sur ce qu'elle voulait à part me mettre son enveloppe dans les mains. Je sais qu'elle contient le salaire de Sofia pour le mois. Et, au poids, que c'est plus d'argent que j'ai jamais eu. Bon, certes, c'est pas dur: Mon salaire est directement viré sur mon compte, Patrick gère le loyer et mes abonnements, et ma carte est calibrée pour que je ne puisse pas retirer plus de 50€/semaine. Le reste est mis sur mon compte épargne. Évidemment, si je veux me faire un plaisir, je peux, il "suffit" de demander à Patrick. Mais j'ai l'habitude des fins de mois sur le fil, et de me débrouiller, et j'économise naturellement une dizaine d'euros chaque mois. Faudrait que t'arrête de penser en euros. OSEF.

Bref tout ça pour dire que je suis pas à l'aise avec son enveloppe entre les mains. Elle espère quand même pas tout passer dans les cadeaux de Noël?! C'est pas juste! Surtout parce que je sais que c'est pas à moi, et donc d'autant plus 'précieux'. Et ce serait pas difficile de me piquer son enveloppe. Mais elle a trop d'argent euh! J'eux en avoir autant! Attends mai prochain. En attendant quand elle me montre un sac de bouffe Oh trop mignon les loups en riz!, je met l'enveloppe dedans, bien calée. En théorie, ça devrait pas se salir, les trucs ont l'air enveloppés.

J'ai bien compris que Sofia est pas une grande bavarde. Je met donc un écouteur, celui qui est pas de son côté, et j'avance en fredonnant. Le trajet est assez rapide, et même sans parler, j'ai l'impression que Sofia est plus détendue. Le magasin m'évoque quelque chose, avec sa décoration. J'ai déjà été dans un magasin de ce type, une fois, et j'avais adoré. En tête de gondole, des guirlandes lumineuses à LED, des plaids en polaire cooconing, des DIY variés... Et tout un rayon de randonnée.

Un cadeau "pratique", hein? J'aime pas ce mot. Parce que je me souviens des diatribes virulentes sur le "offrir un cadeau "pratique" à une femme c'est pas lui offrir un aspirateur!". Après, je ne vois pas trop Sofia offrir un aspirateur à mon frère, et d'ailleurs je veux même pas savoir comment ils s'organisent. Oh trop bien, ils ont des diffuseurs de parfums tout mignons! Hein? Un chapeau à bières? Euh.... J'ai une image de Constantine avachi sur son canapé façon américain moyen des films et séries merdiques... Comme un écho, Sofia émet le même doute. J'ai une moue d'approbation, avant de prendre l'une des casquettes, celle sur laquelle il y a la pastille "test" et de le positionner sur ma tête, en essayant d'imiter la moue blasée de mon frère.

"J'ai aussi un doute."

Y a pas de miroir? Bon, je prends mon téléphone, mode appareil photo, en position selfie. Et je fais la moue en voyant le résultat.

"Ah ouais. Nan, j'suis désolée, mais j'crois qu'il vaut mieux oublier ça."

Je remet en même temps le chapeau à sa place. J'ai quand même une photo sur mon téléphone pour faire rire Milou. Peut-être que je montrerais un jour à Constantine? Bah, d'abord Milou.

J'avance dans les rayons, interpellant de temps en temps Sofia sur des idées. Un kit pour faire soi même sa bière. Un bonnet pour pas qu'il aie froid quand il travaille. Euh non, là je crois que c'est le rayon jouets pour enfants... Des gants qui permettent de pas avoir froid au mains mais d'utiliser son téléphone? Quand on arrive au rayon "bien être", j'ai "l'idée du siècle".

"Constantine m'a dit qu'il aimait beaucoup s'entrainer avec toi. J'suis nulle en sport, et je ne parle même pas de me battre" Oh non, n'en parle pas. "mais j'imagine que après il risque d'avoir des courbatures non? Des trucs de massage pour plus qu'il aie mal après le sport ou le travail?"

Et y en a de toutes sortes, hein, des rouleaux de massages, des coffrets aux pierres chaudes, des huiles diverses...

Ah oui, non, la boite de recharge de cailloux shiatsu c'est pas le must pour avoir une idée de ce que je proposais. Et je crois que finalement je voulais pas savoir. Non parce que je suis pas non plus totalement innocente, je sais très bien à quoi peuvent mener les massages. Et je sais qu'il y a même des huiles comestibles, mais perso c'est pas mon kiff... Bref, je hausse les épaules quand elle me rembarre doucement. Pas sure que savoir que mon frère aime les bains de pieds me soit utile pour des cadeaux. Elle regarde les trucs à côté le set "7 accessoires de massages". Je commente pour elle l'inscription.

"Coffret de massage de la tête aux pieds. Contient divers rouleaux pour la tête, le dos, les jambes et les pieds, deux flacons d'huiles, fleur de lavande et fleur d'amandier... Bla bla bla... Retrouvez sur notre site diverses vidéos de démonstration..."

On le sent le "au début je lis consciencieusement et comme ça prend trop de temps, je saute des passages et je résume?" Bref, ça lui plait et euh... Elle a les joues rouges, ou c'est moi? Nan. Nan tu veux pas savoir. Les grands frères, c'est comme les persos disney, je veux pas savoir. Je rougis un peu aussi mais pas du tout pour les mêmes raisons. Bon, en attendant, j'ai une boite dans le panier. elle est pas hyper encombrante, mais je vois bien que Sofia est partie pour chercher d'autres trucs. Donc je ferai mieux d'aller chercher un panier, moi. Au passage je m'arrête une seconde au milieu de l'allée regarder une guirlande LED, puis sentir un diffuseur "jardin après la pluie"... Si poétique et si doux...

Je reviens vers Sofia elle est au rayon des jeux de société, et avec une vendeuse. Par contre son comportement m'interpelle, et je m'avance un peu plus vite pour la rejoindre. Elle a aussi peur des gens? J'ai du mal à comprendre. Un jeu pour jouer avec Meyer, hein? La vendeuse s'en va en ébouriffant les cheveux de Sofia. Et à nouveau l'interrogation et la réponse à la fois. Sofia ne ressemble pas à une hybride. Pourtant tout le monde la voit comme tel. Parce qu'elle se comporte comme tel. Et là où c'est idiot, c'est que moi, qui suit une "enfant" je puisse être considérée responsable de quelqu'un comme elle? C'est stupide. Un tiraillement sur ma manche et je suis Sofia avec un soupir. C'est pas juste. Bon, alors un jeu pour Sofia et pour Meyer. Elle me tend les boites, à chaque fois. Et je comprends que je dois lui expliquer. Je prends le temps de lire rapidement la description, pour la lui résumer. Mais là on est du côté "adulte" du rayon. Les échecs, les dames, le sudocouleur "faut aligner les chiffres et les couleurs de manière à ce qu'il y aie jamais e répétitions sur une ligne ou une colone", le mille borne "c'est plutôt pour 3-4 joueurs, ce genre de jeux, si tu joue qu'avec Meyer tu risque de t'ennuyer."

Quand elle arrive au qui-est-ce, je commence à en avoir "marre". Et en même temps à avoir perçu qu'il lui faudrait des jeux plus enfantins. Je prends la boite et la retourne. Entre autre il y a une photo de deux joueurs en train de faire une partie.

"Alors, celui là il faut deviner à qui pense ton adversaire. Vous avez chacun un petit coffre avec une vingtaine de visages. Vous en choisissez chacun un, tu vois celui là devant. Et il faut deviner le personnage de l'autre en posant des questions. Est-ce que c'est une fille ou un garçon? C'est un garçon. Bon, alors tu cache les filles... Et ainsi de suite."

Je prends volontairement des voix différentes pour illustrer, en montrant les points clefs sur l'illustration. Et j'attire son attention sur les pictogrammes.

"Tu vois c'est un jeu pour 2 joueurs. Et le symbole là, c'est l'âge minimal pour pouvoir jouer. Ici c'est 6 ou 8 ans. Je pense qu'on trouvera plus de jeux auxquels tu pourrais jouer sans avoir besoin de lire, ici."

Et de lui redonner la boite, à elle de choisir si elle veut la prendre et la mettre dans le panier en fil de fer, ou la reposer. Moi je lui montre d'autres jeux. Un memory. "Ici, tu as des images, elles sont cachées, mélangées. Et toi tu dois en retourner deux. Si c'est la même image, tu gagne, sinon, tu dois les recacher. A la fin, le gagnant c'est celui qui a trouvé le plus de paires." Un dobble, aussi. "Ca c'est sympa, on y jouait à l'hosto. Tu as une pile de cartes, avec des dessins, et chaque joueur à une carte devant lui. à chaque fois, entre ta carte et celle de la pile, il y a un dessin pareil. Il faut le trouver et le dire ou le montrer, et tu prends la carte. A la fin, c'est pareil c'est celui qui a le plus de cartes qui gagne. Nous on y jouait à 5, c'était le bordel."

Sans parler des tricheries éhontées.

Bon, on reste sur le premier choix, hein? Pas de soucis. Je lui tends le panier, d'ailleurs, pour qu'elle puisse y mettre la boite plus facilement. Et en même temps que je balaie ses remerciement d'un haussement d'épaules (je suis venue pour ça, non?) je corrige un point capital.

"Appelle moi Mérine, ça va plus vite. Ou Aumé si tu préfère."

Mais pas Aumérine. Ca m'évoque en vrac les blagues idiotes à l'école "Hey Aumérine, raconte nous l’Odyssée" (même pas sure que ceux qui répétaient cette blague la 28ème fois savaient ce que ça signifiait, et encore moins le rapport avec moi), les ordres de mon père quand j'étais petite, qui à l'époque me faisaient forte impression, mais que si je l'entendais aujourd'hui, je lui crierai bien fort d'aller faire l'amour à un cactus (on en avait parlé un moment, avec la psy, avec Milou aussi de ces parents complètements déconnectés de leurs gosses...),, ou la voix de ma mère avec toute la déception de "mais qu'est-ce que j'ai fait au monde pour avoir une fille comme ça", chose à laquelle je pouvais répondre "tu m'as mise au monde, j'avais rien demandé". Bref, j'aime pas particulièrement mon prénom. Et je crois que c'est pas que moi.

Je sais pas si elle m'a écouté. Et vu qu'elle a l'air de me regarder pendant environ 10 secondes j'en viens à me demander si j'ai, tatoué sur le front, la réponse au mystère de la vie, de l'univers et du reste. QUARANTE DEUXNon, mais retourne dormir. Si je bouge elle me suit? Ne fais surtout pas de mouvements brusque, leur perception est basée sur le mouvement. Oh ouais Jurassic parc! RaptSoso!

Hein?! Quoi?! Ouh c'est contagieux, son truc parce que je suis partie loin. Jana. C'est quoi, ça? Bah non, je sais pas qui c'est. Une p'tite fille alors faut acheter des trucs de p'tite fille... Ca m'aide vachement, ça. Bon, j'vais éviter de lui faire remarquer que la genrisation est une mauvaise idée, déjà en France, c'est dur, alors à Togi, avec une culture influencée par le Japon, pays sexiste... Elle aime les princesses mais Lyne, je sais pas non plus qui c'est lui a déjà offert une robe... Boooooooon... Alors. Visiblement quelqu'un de proche de Sofia en tout cas.

"Non, je ne sais pas. Mais t'as qu'à me dire, je saurais..."

Oui, j'ai mon ton un peu gouailleur, ironique. Je la laisse pas trop le temps de se vexer, je continue sur ma lancée.

"Petite fille comment, petite fille comme celle en poussette, sa soeur ou plutôt comme la blondinette qui va pas tarder à faire une bêtise?"

D'un signe à pet près discret, j'ai indiqué les enfants en question. La première, derrière Sofia a l'air d'avoir l'âge ou la marche est une épreuve, sa sœur est plus grande, et vu les jeux qu'elle demande à sa mère (dans quelle langue elle parle d'ailleurs?), je dirai qu'elle a au moins une dizaine d'années. Quand à la troisième, qui, faute d'avoir pu attirer l'attention de sa mère au téléphone, essaie d’attraper un doudou "test" sur une pyramide de boites qui vont pas tarder à s'écrouler, je dirai qu'elle a acquis la propreté, mais pas depuis si longtemps. Et heureusement pour nous, y a pas trop d'autres gens dans le magasin.

"Ensuite, qu'est-ce que tu appelle "truc de p'tite fille"? Je sais pas si tu sais, mais toi comme moi on est des filles, je crois pas qu'on aime les mêmes choses pour autant... Si tu pense poupées, jeux de marchande et autre, je ne sais pas s'ils ont. Ici c'est plutôt des jeux pour apprendre, pour faire soi même. Ca irait quand même tu crois?"

Après tout, son jeu qu'elle a prit est supposé permettre d'améliorer la réflexion et la communication... Ça l'empêchera as de jouer avec!

Hmm? Encore une fois cette impression que je l'agace. Dix... neuf... Un jour je finirais par m'y faire. De toutes façons, c'est pas comme si j'avais d'autres possibilités. Par contre euh... Huit... On résume, on parle d'une gosse de 7 ans, assez proche de Sofia, assez proche de Meyer aussi, puisque visiblement il lui fait de l'aide aux devoirs (et la plupart des parents confient pas leurs gosses à n'importe qui)... Et dont il ne m'a pas parlé. Sept... Oui, bon, comme dirait la chanson... "on peut pas mettre dix ans (ou vingt en l'occurence) sur table, comme on étale ses letres aux scrabbles". Six... C'est ptet rien, hein, une gamine qu'il babysitte après l'école ou un truc comme ça, comme moi quand je gardais Elsa un mercredi aprèm sur deux. Dans la vitrine je vois un reflet Ah, merde, j'ai enclenché la machine. Cinq... Bref, je suis jalouse quand même. Une lycéenne derrière moi... Enfin, non, pas jalouse. Quatre... Envieuse serait plus juste. Envieuse de cette gamine, de Sofia, qui ont eu le "droit" de connaitre mon frère bien avant moi. Trois...

Le fracas me tire de mes pensées, mais ne me surprend pas vraiment. J'ai même pas eu le temps de finir mon compte à rebours. Un regard vague à la mère et sa gamine. Bon, la gamine a pas l'air blessée, c'est le principal. Allez, recentre! Un jeu pour apprendre à lire... J'en connais pas, moi. Enfin, si. Moi j'ai appris les kanjis à grand renforts de Memory. Mais à sept ans ça me semble un peu rêche. Un haussement d'épaule, et je regarde les jeux. Je passe en vitesse sur les divers titres et slogans, je suis en mode robot. Je scanne, j'analyse. Dans ce rayon, je ne vois rien. Alors je passe au suivant, celui des livres. Je souris en passant la main le long d'un coffret illustré de "il était une fois... La Vie", avec la fresque, la même que sur mes albums à moi. Je trouve des méthodes de lectures... Et je m'arrête net devant un petit livre rouge. Il est écrit en anglais, mais l'image est toujours la même.

"Si toutes les filles du monde, voulaient bien se donner la main, de la terre à la terre, ça ferait une ronde..."

Je retourne le livre, je me suis même pas rendue compte que je parle. C'est exactement la même image avec l'arbre la petite fille blonde et le petit garçon qui joue. J'ai dans la tête des souvenirs qui reviennent, des heures assise avec Maman qui me montrait les sons et les lettres, et qui était sincèrement fière de me voir les retenir. Et du petit poème sur la dernière page.

"Si tous les gars du monde, voulaient bien se faire marin, de la mer à la mer, ça ferait un pont sur l'onde..."

La dernière page aussi n'a pas changé. Oh, bien sur le poème est en anglais, mais c'est la même image avec des gens qui se tiennent par la main, les filles (en robe) sur la terre et les gars (en bleu) debout sur des petits bateaux sur l'eau.

"Si tous les gens du monde voulaient bien se donner la main, tout autour de la Terre, ça ferait une ronde."

Quand je le revois avec mes yeux d'adultes, ce poème, ça me rend triste. Triste de voir que ce poème que j'aimais tellement, petite, est en fait plutôt naïf. Un exercice simple de lecture... Je l'avais même lu à Nicolaus. Et j'avais été très fière de l'entendre me dire "c'est bien". Avec le recul, je suppose qu'il s'en foutait complet, mais bon, j'avais quoi...? Même pas quatre ans. J'avais recopié l'illustration sur mon cahier de dessin de l'époque. Et je me souviens toujours du texte, mine de rien, presque quinze ans après.

"J'ai appris à lire avec celui ci... Ils ont des équivalents sur les hiraganas, mais je ne saurais pas te dire s'ils sont bien ou pas."

Je repose le livre avec un sourire nostalgique, avant d'en montrer un autre, et encore un autre, plus adaptés pour le japonais. Ensuite seulement, je reviens vers Sofia. Elle risque de mal prendre ce que je vais dire, mais tant pis. Après tout, je ne sais pas si elle s'y connait en cadeaux. Le fait qu'elle aie besoin de mon aide me perturbe, car je ne sais pas dans quelle mesure c'est pour lire, dans quelle mesure c'est pour choisir. Et je préfère donner "trop" d'informations que pas assez.

"L'inconvénient de ce genre de livres, c'est que tout seul, ils sont à peu près aussi utiles que des lunettes à un aveugle."

Oups, pas la meilleure comparaison du monde.

"Ils sont prévu pour être lus à deux. L'enfant qui apprend, et l'adulte qui sait lire, et peut expliquer. Je sais pas comment tu vois les choses, mais c'est un cadeau que tu ne pourras pas utiliser avec ta gamine."

Pas de méchanceté dans le ton, juste... j'essaie d'expliciter de mauvaises nouvelles. Et c'est pas facile d'expliquer qu'il y a des messages sous les cadeaux. Les romans c'est des cadeaux solitaires. Les jeux de société, disons qu'on offre rarement des jeux de société à quelqu'un si on a aucune envie de jouer avec. Ou alors c'est un cadeau commun "jouez ensemble les gosses et foutez moi la paix", aussi. Et les livres d'apprentissages, ben... C'est pareil, quand on offre un cadeau pareil, on doit s'attendre à ce que l'autre, pour peu qu'il veuille apprendre soit en demande auprès de la personne qui offre le cadeau. Bon, et puis mais ça c'est mon avis, un cadeau pareil, c'est maladroit, faut savoir l'amener. C'est un peu comme offrir un aspirateur à sa femme pour la st valentin, quoi... D’ailleurs, ptet que finalement, le memory est "mieux". Ou alors...

"Après... Un roman bilingue?"

Je l'entraine deux livres plus loin, et lui montre un exemple, que j'ouvre à une page au hasard. A droite, c'est de l'anglais. A gauche, c'est des hiraganas. Et en bas des deux pages, du vocabulaire. Des notes explicatives.

"C'est la même histoire, mais racontée en deux langues à la fois. Ici, à première vue, ils ont que de l'anglais/japonais, mais on en trouve partout sur Internet, on peut chercher. Elle parle quoi?"

Allemand, hein? Ok. Je commence à chercher, en continuant de développer mes idées.

"Sinon, si tu veux rester dans l'idée de jeu, tu peux détourner le memory. J'ai appris les kanjis comme ça. Au lieu de chercher deux fois la même image, tu cherche par exemple une image de patate, et le mot "pomme de terre".  Si tu fais toi même les cartes, c'est plus facile d'apprendre, et un peu plus amusant. Surtout si vous y jouez à deux."

Je trouve pas de livres, là je change de site. Je passe sur la Fnac, je trouve un titre, un livre avec une illustration de nounours. Si je me souviens bien de mon allemand, le titre c'est "un nounours pour Sarah"? Mouais. En attendant qu'il charge le 4ème de couverture, je vais montrer l'image à Sofia.

"Tiens, j'ai trouvé ça comme livre. Elle est souvent avec mon frère et toi, la petite? Parce que si oui, faudrait que je lui prenne un cadeau aussi..."

Oh que oui. Sinon, c'est... MAL. Euh. Attends une seconde. Allemande, 7 ans, lien avec mon frère...?!

"C'est pas elle aussi la fille de Meyer?!"

Parce que si oui, putain, pauvre gosse! Je compatis! Ah euh non, attends.

"Nicolaus."

Ouais, je précise. Parce que pour elle et moi je crois que ça veut pas dire pareil. Mais je compatis quand même! Et en même temps... Ca voudrait dire une petite sœur aussi? Ouais, nan. J'espère vraiment pas en fait, parce que merde, quoi, il est NUL comme père; Et pis déjà que je lui en veut d'avoir trompé sa femme avec ma mère, et de l'avoir abandonné, s'il a semé d'autres gosses comme des grains de blé Non, mais c'est pas l'heure pour du joe dassin, là!, mais je lui propose la castration physique au 39 coqué, merde! Et au passage j'enverrai se faire f... ses principes d'éducation féminine!

Je vois difficilement ce que je peux répondre. Je sais pas sur quel pied danser avec elle et ça m'agace au plus haut point. Je veux dire HIER elle était à deux poils de cul de mouche de me tuer, et là elle veut m'aider à choisir mes cadeaux?! Pire que ça, il y a pas 5 minutes j'avais l'impression qu'elle était tendue en ma présence, et là, elle recherche ma compagnie. Je sais pas quoi penser. Et du coup je soupire. Parce que je sais pas quoi faire, quoi dire. Et que ça devient complexe, là. Moi qui aime savoir où je vais... Je suis supposée être une sociopathe, puisque mon handicap est reconnu Social plus que Mental. Mais elle c'est pire. J'ai l'impression qu'en fait elle n'a pas de filtre. Sauf celui qu'elle a de base: Son bandeau et son ton inexpressif. Qu'elle est "innocente", et pas dans le bon sens du terme. Parce que comme dirait Cyril, ça veut dire que c'est une BNER. Bombe Non Explosée... à Répétition. Non, je ne sais pas d'où il tire cette expression. Bref. Je n'ai pas besoin de "lire" Sofia pour savoir que mon soupir elle l'a entendu, et que le risque est qu'elle ne le comprenne pas dans le même sens que moi.

"Tu es déconcertante. J'ai un mal fou à deviner à quoi tu pense, c'est déstabilisant."

Je suis pas sure qu'elle comprenne mieux. Mais pour moi qui aie apprit, dans la douleur, à transformer mon empathie en "arme" là où elle me paralysait, à m'en servir pour me protéger plutôt qu'à laisser les émotions ou les propos des autres me tomber dessus, biaisés par mon manque de confiance et me blesser comme autant de grêlons, c'est comme si je revenais justement à mes débuts. A l'adolescente renfermée qui dans chaque mot, chaque geste, entendait une critique, et recevait comme un pieu dans le cœur les petits mots sympathiques de "crève, boudin". Et encore, dieu merci, je n'avais pas eu la bêtise de m'inscrire sur FB ou whats'app... Bref.

"On termine avec tes cadeaux d'abord, et on réfléchira aux miens ensuite."

Il y a la queue au niveau des caisses. Pas qu'il y aie tant de monde, mais visiblement la bonne femme avec sa gamine, celle qui voulait un doudou a un problème de... je sais pas quoi en fait et je m'en fiche. Une histoire de carte de fidélité... Et vu qu'il n'y a qu'une seule caisse ouverte à ce moment, ben on a plus qu'à attendre que la nana règle son problème, puis que le gars devant nous passe avec ses maquettes. Oh, des maquettes. Du coup autant reprendre la discussion.

"De mon côté pour les cadeaux... J'ai prévu d'en commander une partie dans des boutiques spécialisées. Il me reste surtout Yoko-san, ma logeuse, Milou, pour qui je n'arrive pas à trouver de bonne idée, et votre protégée. Pour elle surtout, je vais devoir me baser sur ce que tu me diras. Sachant que je ne peux pas lui offrir de livre ou autre pour son problème de lecture, parce que venant de moi ce serait... incorrect. Et ridicule. Je savais pas lire mieux il y a un an, après tout."

Et puis, il y a encore cette notion de comment on fait des cadeaux. Oui, j'aime lire, et en soit, je pourrais offrir à une gamine de... sept ans, ça lit du club des cinq, Fantomette, non? Je pourrais lui en offrir un exemplaire, voire un exemplaire en double langage, vu le succès de l'auteur. Mais ça me semble être un cadeau trop orienté. De la lecture de la lecture et encore de la lecture, même moi, je me suis lassée de ne recevoir que ça. Il faudrait que je trouve un truc sympathique pour cet âge, sans être trop "intime". Parce que non, je la connais pas cette gamine, et que j'ai pas envie de me prendre encore dans les dents que j'essaie de m'insérer dans leur vie à mon frère et Sofia. Je sais d'ailleurs pas si je me le prendrais vraiment dans les dents, mais... Dans le doute.... Reboote? Nan mais ta gueule. Devant nous, la nana a enfin résolu son problème et laisse le champs libre au gars.

"Pour Yoko-san, à part que c'est une vieille dame et qu'elle aime faire la conversation et raconter "comment son Hiroshi lui a fait sa déclaration au Belvédère et comment c'était si romantiiiiiiiique", je ne la connais pas très bien. A la base, je voulais lui offrir une photo de la vue depuis le Belvédère mais... Quand à Milou... L'an dernier, il m'a offert un set de couture, avec dé à coudre, ciseaux, aiguilles tire fils... Et comme il savait que j'aurais que ça comme cadeau, il a tout emballé séparément. J'ai mis une heure à tout déballer. Cette année je lui rendrais bien la pareille..."

Mon ton est tour à tour sérieux, amusé, et je fais mine de me pâmer, main sur le cœur en imitant ma logeuse. Je recentre avant de me laisser retomber dans le pourquoi j'ai pas pris de photos au belvédère, et j'ai un sourire avec les yeux au ciel en évoquant Milou. Parce que oui, dit comme ça, c'est idiot, une blague à la con. Mais bon, j'étais la gamine "orpheline" au milieu de sa famille, avec cousins et grands parents, et chacun des jeunes avait été couvert de cadeaux. Il s'était ainsi assuré que je ressente un peu moins l'écart entre ses frères et sœurs et lui, et moi. Et je lui en était reconnaissante. Mais quand même, vengeance, et puis lui rappeler ce qu'il a fait pour moi et combien je l'aime pour ça.

"En parlant de cadeaux... Tu veux les faire emballer, ou on achète du papier et tu le fais toi? Moi je compte les faire moi même."

A elle de voir si elle veut faire un atelier "emballons nos cadeaux" après. Çà, je suis très forte à ça! Et puis en soit, plus je passe de temps avec elle, plus j'ai de chances d'en apprendre plus sur elle et Constantine. Et pour peaufiner mon cadeau, parce qu'il est pas simple.

Bon, ben on était parties pour un atelier emballage de cadeaux. Voyons, de mémoire, j'avais... Oui, il me restait des rubans, du ruban raffia, des étiquettes, et même des autocollants en forme de lettre. Ne me manquaient que le papier cadeau. Et dans mon cas, des cadeaux à emballer. Je me retiens de commenter le "j'veux" en "je voudrais", principalement parce que c'est pas mon boulot. Et je regarde un peu les papiers. C'est vrai qu'ils sont sympa. Mais on a peut-être pas besoin de tous les exemplaires...

"Je te suggèrerai de prendre en premier celui là qui est double face. Regarde l'étiquette, père noël rouges d'un côté et flocons de neiges bleu de l'autre. Ca fait 2 papiers en un."

Oui, j'ai indiqué l'un de ceux qui lui plaisaient à la base. De la nourriture, hein? "C'pas con." C'est un cadeau sympathique, pas trop intime... Bon, le côté "périssable, j'aime un peu moins, mais si je trouve une jolie boite... Ils ont pas un rayon nourriture, par là? Soyons franche, je n'ai pas envie de ressortir de suite dans le froid, ni de chercher des magasins pendant des heures. Et faut aussi que je fasse attention à l'argent. Si je regarde dans mon porte monnaie, j'ai... Ben j'ai l'argent de la semaine, puisque j'ai reçu mon enveloppe hier. Et bizarrement j'ai pas fait les courses. Donc je peux faire mes achats mais il faut que j'envoie à Patrick une demande de fonds pour qu'il me renvoie l'argent des courses.Au passage, je note que j'ai un SMS de Milou: Il m'a commandé le cadeau de Patrick, je lui doit donc 29,99 euros faut que je demande à mon tuteur pour un virement. Ben oui, sinon il a pas de surprise...

"Tu prends un papier cadeau, on paie tes cadeaux, on les laisse à la caisse un moment, on fait un deuxième tour pour moi, et on prendra un deuxième papier cadeau à ce moment? Ca devrait être suffisant 2 rouleaux pour nous deux."

Largement, je dirai même. Je pense même qu'elle pourra ramener l'un des rouleaux chez elle pour permettre à Constantine d'emballer les paquets s'il veut... Ah, c'est notre tour. Poser les articles, le papier cadeau qu'elle a prit. "Je peux?" Au moment de reprendre son enveloppe pour payer. Oui, j'ai dans l'idée que oui, je peux, c'est prévu comme ça, mais c'est simple question de politesse. Un renvoi à quand les hommes étaient aussi territorrials que les bêtes et qu'il valait mieux demander formellement la permission avant de prendre quelque chose qui est pas à nous. Payer, glisser le ticket de caisse dans l'enveloppe. Rendre l'enveloppe à Sofia, et échanger la poche de cadeaux avec un badge numéroté. "Le perd pas, faudra qu'on le ramène pour reprendre les cadeaux". Bon, évidemment, c'est pas vrai. Enfin, si, mais on est assez reconnaissables pour que même si on perdait le badge on puisse reprendre la poche de cadeau. Et je ré-entraine Sofia dans les rayons.

Dans mon sac, je prends un bloc note. Une liste, avec des noms barrés et d'autres pas. Constantine et Sofia, respectivement 1er et 4ème dans la liste sont déjà rayés. "Patrick, c'est fait..." accompagne un coup de crayon sur le deuxième nom. Et en bas, en sixième position, je rajoute en phonétique "Yana". Six noms de gens à qui je veux faire des cadeaux. Je sais pas si c'est beaucoup ou pitoyable. M'enfin, mieux que l'année dernière, toujours.

Les cadeaux pour moi, ça va un peu plus vite. Pour Yoko, j'ai besoin d'un peu d'aide de Sofia, mais je finis par trouver un coffret de boites à café divers. Pour Milou, je déniche des chaussettes.

"7 paires de chausettes... Ca fait quatorze chausettes. Que je vais emballer séparément comme ça il aura quatorze paquets à ouvrir pour reconstituer toutes les paires!"

J'ai le sourire très fier d'un gosse qui prépare une "sale blague". De gosse. Et puis il reste la fameuse Janna. Pour qui elle m'a toujours pas répondu. On revient sur le rayon "jouets", au niveau "pour filles". Après tout, c'est le dernier nom de ma liste qui n'est pas barré.

"Bon y reste que ta gamine. Et j'ai bien compris que c'était "ta" gamine, et que tu veux probablement pas que je me tape encore plus l'incruste, mais je sais c'est quoi de voir tout le monde autour de toi recevoir un cadeau et de rien avoir. Ca fait très mal. Je ferai pas ce genre de coup de pute à une gosse de sept ans, que je la connaisse ou pas."

Oh que oui, je sais combien ça fait mal. J'en avait même chialé de voir les autres gamins de l’hôpital recevoir des cadeaux de leurs parents et moi... une facture de garde meuble. Parce que la lettre m'était directement adressée, parce que je défendais toujours ma mère, les soignants n'avaient pas imaginé que l'enveloppe puisse contenir autre chose qu'une carte, peut-être un peu d'argent... Ils n'avaient pas cherché à me faire de petit cadeau, comme à Louis, dont tout le monde savait que les parents l'avaient laissé là seul. Ils m'avaient ramassé à la petite cuillère, et Patrick avait été furieux parce que le courrier aurait dû lui être adressé. Du coup, sans être agressif, je reste ferme. Je ne ferai pas ça à une gamine, alors que j'ai déjà les cadeaux de Meyer et de Sofia en cours d'élaboration.

"Du coup qu'est-ce qui lui plairait le plus, à ton avis? Je fais moi même... Mes bijoux en perle, mes vêtements pour poupée, mon sac d'activité, mes bracelets brésiliens, mon amulette attrape rêve..."

Je lis chacun des intitulés de boites, puisqu'il faut l'avouer, je pense rester sur cette optique. J'ai pas les moyens de faire mieux. Je lui laisse suggérer le meilleur contenu, puisqu'il ne reste que ça à faire avant de payer mes cadeaux (tout l'argent des courses va y passer!), prendre le papier et entrainer Sofia jusque chez moi.

Des bijoux de princesse, hein? Allez va pour ça. Ca y est, la corvée cadeaux est terminée! Le trajet de retour est silencieux. J'ai guidé Sofia vers l'arret de bus, et payé sans sourcillé les 2 places. Faut dire que j'ai des réductions, avec ma petite carte bleue (non, pas la VISA, celle là j'y ai pas droit!) et que je prends assez rarement le bus. Il est assez désert à cette heure, tant mieux. On met une bonne dizaine de minutes à ariver à mon arret, que je passe en communication SMS, puis vocale avec Patrick, pour lui demander une rallonge de sous. Que je dois évidemment argumenter, et je me fais sermonner de ne pas lui avoir demandé avant de partir faire les courses.

"Je suis désolée... C'est juste que ça s'est décidé au dernier moment... Et puis, il fallait que je puisse te faire un cadeau et si c'était toi qui payait t'aurait pas eu la surprise!"

Et j'y tiens à l'effet de surprise! C'est idiot mais j'y tiens. Surtout que cette année, je me dit que j'ai un vrai gros défi. Bon, pas avec cette gosse inconnue, là j'ai préféré pas prendre de risque, parce que à son âge on est plus sensible, et que un mauvais cadeau... Disons qu'il y en a pour qui ce serait grave. Non, le défi c'est mon frère... et surtout Sofia! Milou, Michèle et Patrick m'ont dt que j'étais bonne pour choisir des cadeaux. Michèle m'a même demandé de l'aider pour offrir un cadeau à sa nièce et tutrice, et on s'était bien amusées. Bref, je me dit que j'ai envie de réussir à les surprendre et à leur faire plaisir. Patrick me connait assez pour savoir ça. Il connait même l'explication psychologique de comme quoi je chercherai à faire plaisir aux autres pour reremplir une jauge d'estime de moi abimée et que j'essaie de transformer mon handicap en arme... Et il s'en souvient peut-être même mieux que moi, parce qu'à l'époque, je m'en foutais un peu. J'suis juste comme ça, et flute.

On arrive devant la maison, et c'est seulement en entrant que je me rapelle que je n'ai pas dit à mon frère où je vivais. Et que Sofia risque encore moins de le savoir. Preuve en est, elle pose ses affaires dans l'entrée et sur la table du salon, comme si c'était chez moi.

"C'est moi M'dame Yoko!"

Hmm? Personne. Parfait. Bon, par contre, on va pas rester là pour faire les paquets. Surtout que j'ai celui de Yoko-san à faire. Du coup, j'entraine plutôt Sofia au premier, vers ma chambre. Elle n'est pas grande du tout, surtout comparée à celle de l'hôpital. Mais bon, le futon est rangé dans le placard, ça libère de la place. L'ordinateur trone sur un petit meuble à roulettes, et quand je dis "petit", c'est petit. Juste assez grand pour mettre une chaise. Et sinon, j'ai... Une baie vitrée qui donne sur un balconnet, deux étagères chargées de livres, par dessus lesquels sont exposés mes poupées de porcelaine, et un grand placard coulissant. Qui suffit à contenir toutes mes affaires ce qui est assez pitoyable quand j'y pense.

"Toi qui es grande, tu peux attrapper la boite rouge dans le placard? Attention elle est un peu lourde."

Oui, bon, pas au point qu'on ne puisse pas la soulever, hein? Je veux dire je l'y ai mise, dans le placard. Mais bon, si on s'y attend pas, ça peut surprendre. Pendant ce temps, je réveille mon ordinateur d'un clic de souris, et pianote rapidement sur le clavier. J'ai déjà préselectionné plusieurs types de musiques pour mon projet, mais j'ai une opportunité de les tester, et je ne m'en priverai pas. Sans toucher à la souris, je programme le lecteur de musique pour que de manière aléatoire il joue diverses musiques. Majoritairement du piano, surtout des musiques douces ou instrumentales. Nier, aussi, parce que c'est sympa. Et sorti d'on ne sait où, j'y rajoute du Nightwish (la encore les chansons les plus douces), et des chansons disney. Et une playlist de berceuses, trouvées sur Internet, dont "Soldatino". Je me souviens qu'elle y avait réagit, je voudrait bien voir comment elle réagit aux autres. Et voir ce qu'elle en pense. D'ailleurs à ce sujet...

"Tu es photo sensible, c'est bien ça? Tu supporte mal la lumière vive?"

Je suppose que c'est ça parce que je vois comment elle bouge, elle y voit parfaitement même avec le bandeau. Il me fait penser aux moucharabiés, qui permettent de voir sans être vus... et d'atténuer la lumière du soleil, brulante dans les pays arabes. Sauf que là, il me gêne, son bandeau. Du coup...

"Si je diminue la lumière, pense tu que tu pourrais l'enlever, le temps qu'on fasse les papiers cadeaux? Si je dois t'expliquer des trucs, c'est plus facile pour moi de voir ce que tu comprends ou non. Histoire d'éviter de passer trois plombes à t'expliquer un truc que tu sais déjà, ou au contraire d'aller un peu trop vite pour un truc qui me parait évident mais ne l'es pas forcément pour toi."

C'est vrai, ce que je dit. Mais c'est pas la totale vérité. Le reste est plus intuitif, comme un ensemble de données. Les enfants apprennent les expressions faciales en observant les adultes autour d'eux. D'où l'importance de leur parler. Un enfant qui n'a aucun contact social avant 7 ans est "foutu", incapable de marcher, parler, ou maitriser la comunication non verbale. La plupart des photophobies (oui, parce qu'en vrai on dit photophobique pour qualifier l'hypersensibilité occulaire à la lumière) se développent durant l'enfance. Les deux combinés? Il y a des chances que, même en ayant appris à cacher ses émotions dans sa voix ou dans sa posture, Sofia ne soit pas capable de cacher les mouvements de ses yeux et des muscles autour. Parce que même pour un joueur de poker, c'est difficile de cacher ces mouvements là. Après, non, c'était pas exactement pour mieux expliquer. C'était surtout pour voir comment elle réagissait aux différentes musiques. On va commencer la playlist par une musique un peu tranquille. Kaine, version piano, pas trop fort, juste assez pour qu'elle distingue les paroles. Et maintenant que la musique est lancée, je baisse à demi le store du balcon, diminuant d'autant la lumière assez faible en cette saison. Et j'ouvre la boite. Il y a des rubans, des gomettes en formes de lettres, des tampons, des bouts de papier, un cutter et des ciseaux, des feutres, du fil et des perles... Bref, un beau bordel de trucs d'arts créatifs. Je sors déjà le cutter et les ciseau, les gomettes, le scotch, les étoiles et le ruban de rafia.

"Au moins, j'aurai pas besoin de te faire la leçon sur le côté "attention, ça coupe..."."

Je déteste faire cette leçon. Et encore plus qu'on me la fasse. Bon, je commence à récupérer mes cadeaux à moi, et à séparer les chausettes. Et je garde un oeil sur Sofia. Elle a dit tout à l'heure qu'elle allait "essayer" de les emballer elle même? Donc elle ne sait probablement pas. Mais en même temps, j'ai pas l'intention de lui faire, parce que... J'sais pas c'est plus gratifiant de le faire soit même, non? Du coup... Bon, ben on va prendre la boite pour la gosse, après tout les cadeaux de Sofia sont tous à peu près au même format et commencer, en prenant le temps, pour montrer comment on calcule la taille du papier, comment le replier et le couper... Et lui tendre le rouleau de papier cadeau pour qu'elle s'en occupe à son tour. Et surveiller l'air de rien, pour rectifier une erreur, ou montrer une "astuce". Et entre deux conseils je fredonne tout doucement la musique qui passe.

Bon... On va dire que c'est plutôt pas mal... Pour un premier essai. A part qu'elle a l'air tendue comme un arc, et qu'elle se tend dès que j'approche pour corriger sa position (où est-ce qu'elle a appris à tenir des ciseaux comme ça?!) ou pour lui venir en aide avec le scotch. Et c'est pas faute de lui indiquer que j'arrive (bon, j'suis à deux pas) à chaque fois, d'un "attends, doucement, regarde..." ou d'un "ne tire pas. Comme ça." Il me faut un peu de temps pour comprendre ce qui se passe et j’émets un claquement de langue, l'abandonnant à son paquet presque fini, quoi qu'un peu pitoyable pour retourner ouvrir le store du balcon. Pas en entier, parce que sinon après y a du soleil sur mon écran et j'aime pas ça. Et un peu la vitre au passage, aussi comme ça ça aère. Enfin, juste grand comme le poing, quoi, histoire de ne pas se peler les miches non plus. Sérieusement, à croire qu'elle perd sa langue... Et je marmonne un peu, parce que ça m'énerve. Plus pour elle que pour moi, d'ailleurs. Elle s'estime clairement pas "en dessous" de moi, en même temps ce serait dur de l'être, du coup elle pourrait pas s'éviter de se mettre dans des états pareils?

"Si tu veux pas, dit non, ça ira plus vite... J'suis pas télépathe..."

Elle s'est détendue ou quoi? J'en sais rien. Je suppose, vu qu'elle me parle. Comment ça s'écrit, hein? C'était prévu, en soit, mais du coup... Je peux pas de suite. Je reviens à ses côtés, et lui montre un trou dans son cadeau, une déchirure en V, avec le papier qui s'est plié et laisse un peu voir le blister du jeu en dessous. L'ordinateur à changé de musique, et c'est un instrumental d'Angel beats qui passe. Et bien sur avec ce foutu bandeau, je sais pas si la musique lui plait ou pas.

"Je t'écris ça, mais d'abord, tu devrais peut-être cacher ce trou? Sinon, le côté "surprise je sais pas y a quoi dedans", c'est loupé."

En même temps que je parle, j'ai attrapé une chute de ce qu'il reste de mon paquet (est-il nécessaire de préciser qu'il est plus joli, avec un petit rabat montrant la double face du papier au milieu?) et je lui explique comment la plier en accordéon.

"Tu plie, et tu appuie avec ton ongle. Puis tu retourne et tu replie, pile au dessus du bord, tu vois? Et tu continue doucement jusqu'à ce que tu aie plié toute la bande."

Je lui ai montré en parlant les 3-4 premiers plis, et je la laisse poursuivre. Et je reviens sur mon téléphone qui a sonné pour me donner l'information qui me manquait. J'embraye sur une réponse, et je finis ce que j'avais commencé, pendant que Sofia poursuit son pliage. Quand elle l'a terminé (je crois que le commentaire diplomate serait: avec plus d'enthousiasme que d'efficience), je lui montre comment le plier au milieu et le déplier au centre pour former un cercle éventaillé, et lui tend les rubans de papier cadeau.

"Doré ou argenté?"

Je coupe celui qu'elle à choisit, le noue autour du centre de la décoration, avec le reste qui dépasse. Je lui montre comment faire une bague de scotch pour que ça colle des 2 côtés, et l'aide à l'appliquer sur la déchirure, avec l'espèce de cocarde par dessus. Et enfin, je lui montre comment tenir le ruban et le ciseau pour torsader le ruban, toujours en lui rappelant d'y aller "doucement". Histoire de pas déchirer le papier. Heureusement, la deuxième réponse arrive à ce moment. Parce que là j'avais plus de quoi la faire patienter.

Je lui met donc sous le nez un dessin. Il est mal fait, assez schématique, quasi entier au crayon noir. Une grande silhouette, avec les cheveux fait au stabilo jaune, deux points verts pour les yeux, et un bâton qui finit par un demi cercle à la main. Une silhouette plus petite, en robe, avec un gribouillis de crayon à hauteur d'yeux, cachant ces derniers, et une épée un peu courbée à la main. Et au milieu une toute petite silhouette en robe bariolée de rose, et avec une couronne rose sur la tête (vive les stabilos). Et au dessus, je finis de calligraphier les noms en lettres capitales, en commentant.

"Je sais pas comment ça s'écrit ici, mais à l'européenne, CONSTANTINE, ça s'écrit comme ça, en grand. En dessous, MEYER, comme ici. Ta protégée, ça s'écrit JANNA, comme ça, tu vois? Et si sous le sapin tu trouve un paquet marqué SOFIA, comme ça, c'est que c'est pour toi."

Et je sais d'ore et déjà que oui, il y en aura un, puisqu'elle est prévue sur ma liste. Bon, je ne sais pas si elle comprendra le sous entendu.

"Tu veux l'écrire sur une étiquette, ou tu préfère les gomettes?"

Je lui montre les deux. Les étiquettes autocollantes, jolies mais peut-être un peu petites pour quelqu'un qui ne sait pas écrire (même si elle se contente de recopier les symboles) ou les gourmettes, plus faciles à utiliser. J'ai dans l'idée que, comme la plupart des enfants le fait de faire "toute seule" à de grandes chances de la rendre encore plus fière. Et encore la musique qui change. Rivers flows in you, j'adore cet instru... a non. C'est la version piano plus voix. Encore mieux.

Les musiques en question.:

Je lui tendais les étiquettes, blanche avec un trait rouge et une feuille de houx, et un stylo doré à paillettes, qui avait déjà bien vécu. Normal, les enfants à l'hopital c'est leur favori. Et le mien aussi. Elle commence à écrire, concentrée et en tirant la langue c'est mignon. J'ai presque envie de prendre une photo, là. Et puis elle s'arrête d'écrire, fait un paté monstrueux et commence à trembler. Et j'ai plus du tout envie de prendre une photo, là. Non parce que hier ça a commencé pareil hein? Ca a commencé qu'elle a tremblé et Chut. On n'en parle pas! Mon premier réflexe du coup ce serait de bondir sur mes pieds, et je m'interrompt en plein geste, parce que j'ai peur et que je sais pas ce qui se passe. Elle a bien toujours son collier? Il s'est pas défait quand elle jouait avec sa médaille? Non, il a pas l'air. J'y connais rien moi. Qu'est-ce qui la met dans cet état?!

Mon écran? Qu'est-ce qu'il a mon écran? Il n'affiche que l'image habituelle de fond, un ours en peluche qui tient un coeur un peu mièvre, et deux fenêtres ouvertes: la console Linux et le lecteur de musique, avec l'image de CD vide qui me rapelle que j'ai éhontément volé cette piste sur Youtube. Et elle... PLEURE?! On parle bien de la nana qui hier a ON. NE. PARLE. PAS D'HIER! Si, si, il va falloir! Donc qui a tué un mec, bon, ok, elle était sous le coup d'un gheis, pas maitresse de ses actes, ok. Mais qui après était tout à fait consciente quand il a s'agit d'aller planquer le corps, d'abandonner une nana dans les bois alors si tu veux parler de ça, QUI lui a en plus collé un gosse dans les pattes?!Ta gueule., et tout ça à peu près aussi calmement que si elle avait fait des courses au supermarché ET ELLE CHIALE EN ECOUTANT DE LA MUSIQUE?! Mais je... Oh pis merde, je comprends que dalle. Bon, je fais quoi, moi? Quand un truc pareil arrive à un autre gosse à l'hopital, les soignants ont tendance à entrainer le gamin un peu à l'écart, à débriefer, consoler... Là, je n'ose pas la toucher elle est limite en train de se balancer d'avant en arrière en mode autistique et couper la musique serait trop brusque. Alors je laisse faire. Je laisse passer la crise, et je recule sans bruits, puisqu'elle se tend comme si elle ne voulait pas que je la vois pleurer. Un peu tard.

Mes propres yeux piquent, d'abord parce que je pleure chaque fois que je vois quelqu'un qui pleure, la faute à mes neurones miroirs, et ensuite parce que moi aussi cette musique elle me remue. C'est Michèle qui me l'a fait écouter, la première fois. Je crois que c'était juste après ma TS. Je détestais cette musique au début. Elle m'évoquait une litanie de paroles creuses et vides. Et puis j'avais vu la pédiatrie, et des parents réutiliser ces litanies sans réel sens, de mots apaisants pour consoler les enfants. Et j'avais fini par la comprendre un peu. M'enfin, elle était supposée consoler des enfants en larmes, cette chanson, pas faire pleurer! La musique s'interrompt, et moi je ne regarde volontairement pas Sofia. Je cherche dans la boite pour un pochoir. J'avais une règle, avant, avec les lettres en pochoir...

Elle hésite. Elle sait pas si elle veut parler ou pas? Je le comprends. Même sans savoir quelle me considère comme... au mieux comme une gène au pire comme un danger, je comprendrais qu'elle n'aie pas envie de me raconter, de s'exposer au jugement. J'essaie de ne pas juger en général, mais ce n'est pas toujours aisé. Reprendre les cadeaux?

"Bien sur. Tiens viens voir..."

J'ai pas fini ma phrase qu'elle s'accroche à moi, à genoux à mes côtés. Ok. Bon. Les cadeaux vont attendre... L'ordinateur joue une musique au piano, un peu plus enjouée. Zelda, la vallée des Gerudos. Pas tiptiptop pour un calin, mais ça m'a l'air plus neutre et moins affectivement chargé. Je referme doucement mes bras sur Sofia. Pas trop serré, juste une main dans son dos, qui fait de petits cercles. C'est efficace pour quelqu'un qui pleure parce que ça permet de faire "remonter" les sanglots et d'éviter de s'étrangler. Et l'autre doucement sur l'épaule, qui fait des alentours entre le bras et l'articulation proprement dite. Parce que quand elle en aura marre du calin, où qu'il ne sera plus nécessaire, je le saurais assez vite à la tension dans ce muscle là.

"Ca va... Ca va..."

Je prononce ces mots doucement, mais en soit, il n'y a rien que je puisse réellement dire. Je soupçonne qu'elle aie eu un flashback ou un truc comme ça. Et je sais ce qu'elle et mon frère m'ont dit. Ils remontent de très loin. Sauf qu'aujourd'hui, elle va bien. Elle est en train de faire des cadeaux a des gens qu'elle aime. Alors ça va. Non? Et puis en soit on s'en fout. Alors je dit plus rien, juste des notes un peu grave. La ronronthérapie, c'est exposer une personne aux ronrons d'un chat. Des sons basse fréquences qui apaisent. Et les chiens et chats sont apaisés par des sons un peu graves, surtout comme elle est, dans mon giron (oui, même si j'en ai pas beaucoup ça s'appelle quand même comme ça!), avec ma cage thoracique qui amplifie cet effet. J'emploie ce que je connais.

Hein? Je fige une seconde mes mouvements en entendant sa proposition, et elle referme ses poings sur mon haut. Bon, ok, je reprends mon calin! Mais ce n'est pas parce que je continue les petits ronds de la main dans son dos que je lui réponds. Bon sang son bandeau est complètement trempé. Et il y a de grandes chances pour qu'elle aie aussi le nez qui coule. Ben oui, c'est pas glamour, mais on pleure rarement que des yeux. Quand finalement je la sens se tendre un peu, je la lache et l'aide à se relever sans commentaire. Je préfère pas poser de question, parce que... Qu'est-ce que j'aurais comme question à poser, hein? Je ne pense pas être capable de poser de questions, d'en savoir plus, sans réagir, et risquer de la blesser d'être jugeante. Et être juger fait mal, surtout par ceux qui le font sans savoir. Alors je la regarde avec une moue curieuse, oui, mais ma première curiosité c'est si ça va? C'est même plutôt de l'inquiétude à ce stade. Elle s'est assez reprise pour se lever? Je me redresse, et l'aide dans le mouvement, ou l'accompagne, je sais pas trop. Sans un mot je la guide vers la salle de bain, en face de ma chambre.

"Tu peux utiliser ma serviette, c'est la jaune. Ou en prendre une sur l'étagère orange."

Et je ressors en laissant la porte entre ouverte. Je prends juste une écharpe fine, en une espèce de tulle fin transparent, et une paire de lunette de soleil teintées. Bon, pas sure qu'aucun des deux soient à son gout, l'écharpe est rose et les lunettes un peu grandes. Mais je me dit que si elle veut faire sécher son bandeau, à défaut de l'enlever...

"Tiens, je te met ça là, si tu as besoin."

Je glisse les accessoire sur le meuble de la salle de bain, sans même entrer, juste en passant le bras, et je m'adosse au mur à côté, sans regarder l'esclave. Respecter. Pas comme si c'était une attitude répandue à la clinique vétérinaire, hein, c'est "que" des hybrides, alors on peut les voir cul nu rien à foutre... Et puis quoi encore? Bref donc non, je respecte l'intimité de Sofia, surtout quand je sais qu'elle était mal à l'aise dans ma chambre, je veux pas l'emmerder.

"Et pour répondre à ton invitation, j'en suis honorée, mais je ne sais pas encore si je travaillerai le matin où l'après midi. Figure toi que les hybrides tombent aussi dans les escaliers le jour de Noël..."

Ouais et les escaliers ils ont deux bras et deux jambes hein... L'ironie froide doit être audible à des kilomètres, et je suis clairement en colère. Pas à l'idée de travailler à Noël, hein, ça c'est moi qui ai demandé. Si je réussit mes exams, je quitte les exams théoriques et je peux prendre les gardes. Et être un peu plus payée, bon, toujours 10 fois moins que les travailleurs diplomés mais bon. Non, en colère parce que pour les hybrides, il n'y a pas de trève de Noël.

La revoilà qui sort.

"Je connaitrai mon emploi de temps mercredi prochain, je te dirai si je passerais le matin ou l'après midi?"

Passerai oui. Je ne compte pas m'éterniser, même si je veux offrir mes cadeaux et voir mon frère. Je sais très bien que pour lui aussi c'est surement trop nouveau. Bon, et maintenant on fait quoi? Ses yeux sont toujours cachés alors je ne sais pas trop comment elle se sent.

"Tu veux parler, ou on s'y remet? Je te montre un paquet plus compliqué?"

J'ai bien envie de lui montrer comment on fait le paquet avec le ruban qui fait le tour du paquet et le gros noeud! Et si elle veut parler... Ben je prierai pour que mes barrières mentales elles tiennent et que mon empathie me fasse pas sur réagir. Et les musiques qui continuent de défiler...